— Si vous etes vraiment saint Jacques, aidez-moi, car vous etes tout-puissant, mais si c'est toi, Barnabe, qui as fait ce reliquaire, alors c'est a toi que je demande secours pour un frere que tu aurais aime. C'est mon ami, lui aussi ! Sauve-le !
Elle deboucha dans la cour du chateau au moment precis ou les soldats faisaient sortir le prisonnier. Gauthier etait sale, couvert d'une boue brune et une epaisse barbe roussatre mangeait son visage. Il frissonnait sous le froid du petit matin parce qu'il etait seulement vetu de ses chausses et d'une chemise lacee sur la poitrine, mais il ne semblait pas en mauvais etat. Des chaines aux mains et aux pieds, il s'arreta au seuil des prisons pour gonfler sa poitrine d'air pur.
— Par Odin ! Ca fait du bien !
Un coup de bois de lance dans les reins l'empecha d'en dire plus, mais, malgre la douleur, il sourit parce qu'il venait d'apercevoir Catherine. Elle voulut aller vers lui. Un sergent lui barra le passage.
— Monseigneur Gilles interdit que l'on parle au prisonnier.
— Je me moque des ordres de monseigneur Gilles...
— Vous peut-etre, Dame, mais pas moi ! Allons, au large...
— N'ayez pas peur, cria Gauthier au prix d'un nouveau coup de bois de lance, je ne suis pas encore transforme en patee pour les chiens !
Des chenils et des ecuries on amenait des chevaux et aussi, attaches par couples a de fortes laisses et retenus a pleins poings par les valets, une veritable meute de molosses enormes, hurlant comme des demons en tentant d'echapper a leurs entraves. C'etaient de lourds matins aux muscles epais, de veritables fauves dont les babines noires montraient, en se retroussant, des crocs etincelants.
— Ils n'ont pas mange depuis hier matin, declara derriere Catherine la voix froide de Gilles de Rais. Ils n'en seront que plus ardents a la poursuite !
Souriant, vetu de daim noir, il se tenait debout au seuil de la tourelle d'escalier, enfilant tranquillement ses gants, les yeux sur les chiens. Derriere lui venait la dame de Craon, habillee de vert a son habitude, et aussi, appuye sur sa canne, le vieux sire qui assistait au depart. Il vieillissait beaucoup depuis quelque temps et semblait se courber de plus en plus.
— Lachez l'homme ! cria Gilles.
Aussitot, les sergents firent tomber les chaines de Gauthier qui etira ses longs membres avec une visible satisfaction. Les hommes d'armes, du bout de leurs piques, le pousserent sur le pont-levis. Avec un geste d'adieu pour Catherine, il detala vers l'air libre tandis que Gilles criait :
— Nous te donnons une demi-heure d'avance, manant ! Tache de t'en arranger !
Puis, se tournant vers Catherine, sur le ton de la conversation de salon :
— Voyez comme les chiens tirent sur leurs laisses dans leur impatience. J'ai pris soin de faire frotter votre ami, ce matin, avec le sang d'un sanglier abattu depuis quelque temps deja. Il pue comme charogne et les chiens auront moins de peine a trouver sa trace.
— S'il sait la chasse, bougonna la vieille Anne en haussant les epaules, il vous echappera, beau-fils ! Vos chiens sont bons et ardents a l'attaque, mais ils ne sont pas infaillibles.
— Et que dites-vous de celui-la ? C'est le plus recent cadeau de mon beau cousin La Tremoille.
Les yeux de Catherine s'agrandirent de terreur. Un gigantesque valet de chiens, tout caparaconne de cuir epais, debouchait d'une basse-fosse. Au bout d'une chaine, il tirait apres lui une longue forme souple, dont le pelage jaune et noir semblait onduler a ras de terre : un superbe leopard dont l'inquietant regard oblique dardait des feux verts. A sa vue, les servantes se tasserent dans un coin avec des glapissements de poules effarees. Mais la bete les dedaigna, de meme que les chiens qui, devant le beau felin, gronderent de colere. Le leopard les regarda, plissant les paupieres, cracha en montrant ses crocs aigus, puis, tranquillement, se coucha sur le sol.
— Qu'en dites-vous ? fit Gilles, qui observait Catherine. Pensez-vous qu'un homme, si habile soit-il, puisse echapper a un chasseur comme celui-la ?
Elle s'obligea a lever la tete et le brava du regard.
— Faites-moi donner un cheval ! Je veux suivre cette chasse !
— Il eut un haut-le-corps. Visiblement, il ne s'attendait pas a cette requete. Que veut dire cela ? Cherchez-vous a vous enfuir a la faveur de la poursuite ?
— En laissant Sara entre vos mains ? Vous me connaissez mal, fit-elle en haussant dedaigneusement les epaules.
— Alors, dois-je vous rappeler que vous etes enceinte... de pres de cinq mois ?
— Les femmes de ma race montent a cheval jusqu'au moment de se mettre au lit !
— Et..., les yeux de Gilles se retrecirent jusqu'a n'etre plus que de minces fentes luisantes et noires, et si vous perdez votre enfant ? Le precieux enfant de ce cher Montsalvy ?
— Il m'en fera d'autres ! lanca Catherine.
Elle avait mis tant d'orgueil dans la brutale impudeur de sa replique que Gilles de Rais detourna la tete, appela Sille d'un signe.
— Un cheval pour dame Catherine. Une haquenee plutot. Donne-lui Morgane. Ainsi, je serai sur qu'elle ne me quittera pas. Morgane a l'habitude de suivre Casse-noix comme son ombre !
Une petite jument blanche, aux pattes fines et dont la longue queue neigeuse tombait jusqu'a terre, fut amenee et vint se ranger d'elle-meme pres du grand destrier noir de Gilles. Celui-ci offrit la main a Catherine pour l'aider a se mettre en selle, puis enfourcha sa propre monture. Les autres etaient deja a cheval et Catherine remarqua l'attitude etrange d'Anne de Craon. Elle semblait indifferente a tous ces details et se tenait assez a l'ecart. De la main, elle flattait distraitement l'encolure de son cheval qui dansait sur place, impatient de galoper. Elle n'avait meme pas effleure Catherine du regard et n'avait pas paru remarquer qu'elle se joignait a la chasse. Le cou tendu, le regard fixe, elle regardait seulement l'ogive claire de la porterie, ouverte sur la campagne. Catherine chercha en vain a rencontrer son regard. Elle eprouvait un besoin imperieux de se sentir moins seule, de trouver un appui. Faute de mieux, elle caressa l'encolure de Morgane. Mais il fallait attendre encore. Les yeux sur le cadran solaire de la tour nord, Gilles surveillait la progression du temps. Derriere lui, ranges sur une seule ligne et tous vetus de cuir sous les tabards armories a leurs couleurs, ses capitaines attendaient avec la discipline des troupes d'elite.
Soudain, Gilles leva sa main gantee.
— La demi-heure est passee. En chasse !
Chevaux et cavaliers s'ebranlerent. Les chiens, trainant presque leurs gardiens qui n'avaient pas trop de tous leurs muscles pour les retenir, partirent en tete. L'air s'emplit de leurs aboiements. Derriere eux, la dame de Craon lanca son cheval.
— Qu'importe le gibier a ma noble grand-mere, ironisa Gilles a l'usage de Catherine, pourvu qu'elle chasse ! Soyez certaine qu'elle traquera votre Normand aussi ardemment qu'un vieux solitaire !
Cote a cote, le grand cheval noir et la petite jument blanche franchirent le pont-levis.
En sortant du chateau, Catherine vit que le chemin vers le village et vers la Loire avait ete barre par un cordon de soldats. On craignait sans doute que le gibier, pousse par le desespoir, n'eut l'idee de se jeter au fleuve pour tenter de le franchir et mettre ainsi entre ses poursuivants et lui un infranchissable rempart. Les hommes, choisis pour leur taille, tranchaient vigoureusement, jambes ecartees, visages immobiles sous les chapeaux de fer, sur le paysage d'iles sableuses et d'eau au-dela duquel s'erigeaient, fantomatiques, les tours de Montjean et les mats des navires qui, de Nantes, remontaient jusque-la.
— Vous ne laissez vraiment rien au hasard, fit Catherine, les levres serrees.
— Je ne tiens pas a ce que la chasse tourne court, repondit Gilles avec un sourire aimable.