Sous les pieds de Catherine, la maison s'eveillait. Des pas faisaient grincer les escaliers et, de la cuisine, on entendait remuer les chaudrons. La porte d'entree s'ouvrit et retomba. Quelqu'un sortait. Macee sans doute qui s'en allait a la messe.

Dans son lit, Arnaud semblait dormir ! Catherine accepta enfin d'aller en faire autant.

Pendant cinq jours et cinq nuits, Catherine ne quitta pas la chambre d'Arnaud. Elle avait fait jeter un matelas dans un coin et dormait la, deux ou trois heures, quand, vraiment, son corps lui refusait tout service. Sara demeurait pres d'elle continuellement et chaque soir, a la nuit tombee, Xaintrailles revenait, aussi discretement qu'il pouvait, pour que l'on ne s'etonnat pas de ses visites assidues au pelletier. Quant a Gauthier, s'il passait ses nuits couche en travers de la porte, il n'entrait dans la chambre que lorsqu'on le demandait. Encore ne semblait-il y entrer qu'a regret et ne s'attardait-il jamais.

Il se precipitait pour executer le moindre des ordres de Catherine, mais jamais plus il ne souriait et l'on n'entendait presque jamais sa voix. Ce fut Sara qui etablit le diagnostic de cet etrange comportement.

— Il est jaloux ! dit-elle.

Jaloux ? C'etait bien possible ! Catherine, un instant, en eprouva quelque contrariete, mais, durant ces jours charges d'angoisse, elle ne pouvait s'interesser longtemps a quelqu'un d'autre qu'Arnaud et ne releva meme pas le propos. Elle et Xaintrailles livraient contre la mort un combat sans merci, avec l'aide de Sara et de la vieille Mahaut. Les C?ur, avec un tact infini, ne se montraient que deux fois le jour pour prendre des nouvelles. Autour du drame qui se jouait dans la chambre du second, la maison poursuivait sa vie habituelle, tout unie et sans reliefs car il s'agissait avant tout de ne pas attirer l'attention. Pour plus de surete, Jacques C?ur avait meme fait partir le poete Alain Chartier pour l'une de ses fermes. Il s'etait mis a courtiser une petite servante et cela pouvait etre dangereux.

La fievre ne lachait pas prise, secouant le corps emacie d'Arnaud qui passait tour a tour d'un delire presque frenetique a une torpeur totale, d'une epuisante lutte contre d'invisibles ennemis a une tragique immobilite ou sa respiration meme devenait difficilement perceptible. Il demeurait alors etendu sur son lit, les narines pincees. Dans ces moments-la, Catherine, le c?ur serre, croyait la derniere heure venue et regrettait les fureurs du delire. Elle l'entourait de soins incessants, renouvelant chaque jour le cataplasme d'herbes sur les yeux malades et remerciant Dieu quand, avec une peine infinie, elle avait reussi a faire absorber au blesse un peu de nourriture.

Outre l'etat d'Arnaud, elle avait un autre sujet d'angoisse. Le coup de force de Xaintrailles contre le chateau de Sully avait eu, bien entendu, des repercussions. Heureusement pour le capitaine aux cheveux rouges, La Tremoille ignorait qui avait tue ses hommes et incendie son domaine, Xaintrailles ayant pris bien soin de bannir, pour sa troupe et pour lui-meme, tout signe distinctif. Pour tout le monde, un chef de bande avait surpris la defense du chateau et en avait arrache un prisonnier sur l'identite duquel le chambellan demeurait etrangement discret.

— Mais, confia Xaintrailles a Catherine, si La Tremoille n'a pas la certitude que le coup vient de moi, du moins s'en doute-t-il, et je peux m'attendre a n'importe quel traquenard. C'est pourquoi, chaque soir, je ne sors de chez moi que deguise en valet et ne viens ici qu'apres une station chez une dame de mes amies dont la maison possede une heureuse issue habilement dissimulee par laquelle je repasse avant de rentrer.

Xaintrailles prenait un plaisir evident a berner le gros chambellan et ce plaisir-la inquietait Catherine. Sa vie et celle d'Arnaud n'etaient-elles pas l'enjeu de cette mortelle partie de cache-cache ? Et ou, en cas de besoin, dissimuler le blesse inconscient si la maison des C?ur devenait suspecte ? Dans une cave ? Lorsque le delire s'emparait d'Arnaud, il poussait des cris a percer les plafonds et il fallait calfeutrer la chambre pour ne pas intriguer les passants.

Mais, a l'aube du sixieme jour, tandis qu'agenouillee dans un coin de la chambre, devant une image de Notre-Dame, Catherine priait de tout son c?ur, la tete dans les mains, et que Xaintrailles, debout au pied du lit, s'etirait comme un grand chat avant de se preparer a repartir, une voix faible mais nette vint couper l'oraison de la jeune femme et fit tressaillir le capitaine.

— Tu portes la barbe, maintenant ? Tu sais que tu es affreux comme ca ?

Un cri etouffe jaillit de la gorge de Catherine qui bondit de son prie-Dieu. Legerement souleve sur ses avant-bras, Arnaud regardait son ami avec un sourire pale mais resolument moqueur. Il avait arrache le bandage de ses yeux qui etaient encore rouges, mais qui, apparemment, voyaient clair. Xaintrailles, son regard brun etincelant de joie, fit une grimace comique.

— Il parait que tu as decide de rejoindre le monde des vivants, tout compte fait, dit-il d'une voix qui s'enrouait d'emotion maitrisee a grand-peine. On etait pourtant bien tranquilles, comme ca, n'est-ce pas, Catherine ?

— Catherine ?

Le blesse tournait la tete vers l'endroit que regardait Xaintrailles, mais deja, riant et sanglotant tout a la fois, la jeune femme s'abattait a genoux pres du lit. Incapable d'articuler meme une syllabe, elle saisit la main d'Arnaud et l'appuya contre sa joue inondee de larmes, couvrant, entre deux sanglots, cette main de baisers.

— Ma mie ! balbutia Montsalvy bouleverse. Ma douce Catherine !... Par quel miracle ? Dieu a donc permis que je te revoie ? Je n'ai donc pas, en vain, crie vers lui du fond de ma prison ? Tu es la ? C'est bien toi ?... Tu n'es pas un reve, dis

? Tu es bien reelle...

Dans un terrible effort, il tentait de se redresser encore pour l'attirer a lui tandis que de grosses larmes roulaient sur son visage emacie. Jamais Catherine ne l'avait vu pleurer, l'orgueilleux Montsalvy, et ces humbles larmes, qui donnaient la mesure de son amour pour elle, lui parurent cent fois plus precieuses que les plus riches presents. Il pleurait de joie, pour elle, a cause d'elle ! Bouleversee de tendresse, elle se coula contre lui, entourant de ses bras les epaules, a l'ossature saillante, appuyant sa bouche tremblante a la joue d'Arnaud.

— Je suis aussi reelle que toi, mon amour. Le ciel, une fois encore, a fait pour nous un miracle... Et maintenant, personne, jamais, ne pourra nous separer...

— C'est a souhaiter ! grogna Xaintrailles un peu vexe de se voir abandonne. Tudieu ! Vit-on jamais amour plus traverse que le votre ?

Mais c'etait peine perdue. Arnaud ne l'ecoutait pas. Il avait saisi le visage de Catherine et le couvrait de baisers desordonnes, emailles de mots absurdes et tendres. Ses mains, tremblant d'une joie demente, s'attachaient a la jeune femme, glissant des joues lisses aux tresses sages, suivant le contour du cou, des epaules comme si elles cherchaient a refaire connaissance avec ce corps trop longtemps desire, presque oublie. Catherine, a la fois heureuse et confuse a cause du regard amicalement goguenard de Xaintrailles, se defendait doucement.

— Tu es plus belle que jamais, murmura le blesse d'une voix rauque.

Soudain, il l'ecarta de lui.

— Laisse-moi te regarder, pria-t-il. J'ai tant supplie le ciel de te rendre a moi, au moins un instant, avant d'en finir avec la vie. C'etait de ca, vois-tu, que j'avais le plus peur dans ma prison, c'etait de crever la, comme une bete malade, sans avoir revu tes yeux, sans avoir tenu une derniere fois dans mes mains tes beaux cheveux, ton corps...

Il l'avait obligee a se relever et la detaillait avidement, comme s'il voulait absorber une bonne fois et pour toujours une image trop longtemps desiree. Mais son regard, brusquement, s'accrocha a la taille epaissie de la jeune femme, s'y ancra tandis que sa figure palissait davantage encore. Il dut se racler la gorge pour que sa voix sortit.