— Eh bien, pleure ! J'arriverai bien a arracher ces idees stupides de ta tete folle !

Et, sans transition, il dechaina sur Catherine un tel ouragan de caresses et de baisers que Catherine, brutalisee, meurtrie mais emportee par un plaisir qui semblait ne jamais devoir atteindre son point culminant, delirant d'une passion si violente qu'elle lui arrachait des cris, ne songea plus qu'a subir la loi d'Arnaud. Quand, enfin, il la soumit completement, elle l'entendit murmurer, moqueur et tendre, sur le ton du triomphe :

— Je t'avais bien dit que tu oublierais ces sottises !

Il la quitta soudain pour courir jusqu'a un dressoir dispose pres de la cheminee et qui supportait des gobelets et un flacon de vin. Aneantie, ecrasee de bienheureuse fatigue, Catherine entrouvrit des paupieres qui n'avaient jamais ete aussi lourdes. Son total epuisement fit rire le jeune homme. Il leva le flacon d'argent.

— Tu veux un peu de vin ? J'ai une soif du diable !

Elle fit signe que non de la main, n'ayant meme

pas le courage de parler. A travers ses cils rapproches, elle le vit emplir la coupe, la vider d'un trait, s'essuyer les levres de son bras nu. Elle allait refermer les yeux quand un bruit metallique la fit sursauter. La coupe avait roule a terre, mais Arnaud ne s'en souciait pas. Il s'etait approche du feu et semblait regarder quelque chose sur la face interne de son bras.

Son immobilite absolue frappa Catherine qui se redressa sur les oreillers en desordre, vaguement inquiete.

— Qu'y a-t-il ? Que regardes-tu ?

Il ne repondit pas, ne bougea pas. Il y avait quelque chose de si effrayant dans cette inertie que Catherine cria.

— Arnaud ! Qu'est-ce que tu as ?

Il se retourna, laissa retomber son bras, sourit, mais c'etait un curieux sourire, un etirement machinal des levres qui etait presque une grimace.

— Rien, ma mie ! Une buche a eclate et une brindille m'a brule au bras. Dors maintenant, tu en as besoin...

Sa voix semblait venir de tres loin. D'un geste mecanique, il prit sur un escabeau une longue robe de drap vert ourlee de taupe, l'enfila, serrant la ceinture autour de ses reins. Catherine le regardait faire avec stupeur.

— Mais enfin, ou vas-tu maintenant ?

— Je veux m'assurer que tout va bien, que les sentinelles sont a leur place. Les hommes d'armes ont beaucoup bu, ce soir, et une surprise est toujours possible.

Il s'approcha du lit, se pencha, prit une meche de cheveux qui pendait hors du lit et y posa ses levres avec ferveur.

— Dors, mon ange, dors... je n'en ai pas pour longtemps.

Cette ronde nocturne etait normale, apres tout, de la part du gouverneur de la forteresse. Et puis Catherine etait trop lasse pour se poser beaucoup de questions. Arnaud etait l'homme le plus imprevisible qui fut. Tandis qu'il s'eloignait sur la pointe des pieds apres avoir soigneusement ramene les couvertures sur les epaules de sa femme, elle ferma les yeux, deja envahie d'une delicieuse torpeur. Pourtant, avant de sombrer dans l'inconscience, elle eprouva encore une curieuse impression. Dormait-elle deja ou bien y avait- il, tout a l'heure, de l'angoisse et meme de la peur dans le regard qu'Arnaud avait pose sur elle ? A cet instant, son visage avait l'air cisele dans du granit, rien n'y vivait hormis ce regard, ce regard...

Allons, c'etait une fumee sortie de son esprit epuise ! Catherine, un sourire aux levres, s'endormit profondement.

La voix de Sara fredonnant une vieille cantilene eveilla Catherine. Elle aurait jure qu'il n'y avait que cinq minutes qu'elle dormait ; pourtant, il faisait grand jour. Elle sourit en voyant que Sara, assise au pied de son lit, dans l'attitude ou elle l'avait vue des centaines de fois quand elle etait petite fille, tenait Michel dans ses bras. C'etait pour le bebe qu'elle chantait, en souriant, et le bebe, ravi, agitait des menottes roses comme des coquillages.

— Est-il si tard ? demanda Catherine en se dressant sur son seant.

— Il est l'heure de nourrir ton fils ! Il a tres faim.

Catherine tendit les bras pour recevoir l'enfant avec

ce profond sentiment d'amour et de plenitude que lui donnait ce moment ou elle le nourrissait. La petite tete blonde se nicha contre elle et les petits doigts vinrent s'appuyer, bien ecartes, sur la rondeur ferme du sein qu'on lui offrait. Michel se mit a teter avec ardeur. Catherine eclata de rire.

— Mais il devore, ma parole ! Regarde, Sara... Est-il-gourmand !

De l'enfant, sa pensee glissa au pere et elle demanda a Sara ou etait Arnaud.

— Dehors. Le comte Bernard s'apprete a partir. Quand le petit aura fini, il faudra te depecher.

Assise dans son lit, Catherine suivait Sara des yeux, s'etonnant de n'avoir pas encore remarque ce bizarre ; affaissement des epaules. Sara se voutait ? A cinquante ans a peine ? Et ce cerne violet autour des paupieres ? De la fatigue, peut-etre ? Sara se depensait continuellement pour Michel, pour Catherine. Pour le moment, elle ouvrait un coffre de cuir, en tirait des vetements divers et d'abord une dalmatique de velours violet doublee de satin gris.

— Le comte Bernard a laisse plusieurs coffres.]1 Dans ces robes et ces manteaux d'homme, je pourrai te tailler quelques vetements. Tu n'as pas grand-chose a te mettre.

— Les robes de Bruges et de Dijon sont loin, n'est-ce pas ? fit Catherine avec un mince sourire, et les parfums, et les bijoux...

— Tu ne regrettes rien ? Vraiment rien ?

Le sourire ebloui de Catherine alla de la tete duveteuse du petit garcon a l'ogive bleue de la fenetre au- dela de laquelle on entendait la voix d'Arnaud criant des ordres.

— Que veux-tu que je regrette ? J'ai tout puisque je les ai tous les deux. C'est tellement plus important qu'un palais, des robes de brocart et des diamants. Tu sais...

La phrase demeura en suspens. Sara, d'un geste rageur, s'essuyait les yeux a sa manche. Les prunelles de Catherine s'agrandirent de stupeur.

— Tu pleures ?

— Mais non... je ne pleure pas, fit Sara avec impatience. Il y a de la poussiere dans ces vetements.

— Il y en a aussi dans ta voix... Tiens, il a fini ! Prends-le, je me leve ! fit-elle en remettant Michel aux bras de la bohemienne.

Tout en se passant la figure et les mains a l'eau, en enfilant ses vetements, en nattant ses cheveux, Catherine observait Sara. La poussiere ? Certainement pas... Elle pleurait, ou plutot, elle avait pleure et il en restait quelque chose. Mais il etait aussi certain qu'elle ne voulait pas dire pourquoi. Au-dehors, le tintamarre d'une troupe nombreuse prete a s'ebranler se faisait entendre : cliquetis d'armes, sabots des chevaux grattant la terre, roulement des chariots a bagages, ordres brefs hurles a pleine voix, cris d'appel et rires. En s'approchant de la fenetre, Catherine vit que les tentes de soie avaient ete demontees et rangees dans les chars. Elle vit aussi qu'Arnaud avait tenu parole : les branches du vieux fayard ne portaient plus aucun fruit suspect. La cour etait pleine d'hommes d'armes qui attendaient calmement, l'arme au pied, que l'on partit.

Les cavaliers etaient deja a cheval...

Comme Catherine se penchait au rebord de pierre pour mieux respirer l'air vif du matin, pour sentir la caresse de ce soleil encore timide qui mettait une douceur sur la campagne, Arnaud et Bernard sortaient de la chapelle. Les deux hommes etaient tout armes, a l'exception des heaumes qu'ils portaient sous le bras. Ils se dirigerent vers leurs destriers que les ecuyers tenaient par la bride, se hisserent en selle. Arnaud, sans doute, voulait accompagner son ami un bout de chemin. Cadet Bernard allait enfoncer son casque sur sa tete quand il apercut Catherine a sa fenetre et dirigea son cheval vers elle.

— Je ne voulais pas que l'on trouble votre sommeil, Catherine, cria-t-il, mais je suis heureux de vous revoir avant de partir. Ne m'oubliez pas tout a fait ! Je ferai tout pour que votre grace revienne eclairer bientot la cour de Charles VII.