Catherine, interdite, l'ecoutait, surprise par l'etrangete des paroles.
— Qu'est-ce la ? demanda-t-elle.
Garin eut pour elle un pale sourire.
— Rien... pardonnez-moi ! Quelques vers d'un poete allemand qui s'en alla aux Croisades et que protegeait l'Empereur Frederic II. On l'appelait Walther von der Vogelweide... Voyez-vous, je suis comme notre ami Abou-al Khayr ! j'aime beaucoup les poetes. Maintenant, je vous laisse, Catherine. Dormez ici, si tel est votre desir...
Avant que Catherine ait pu le retenir, il avait traverse la chambre, disparu dans la galerie. Elle entendit son pas decroitre... Alors, la colere l'emporta. Glissant a bas du lit, elle recupera son manteau, ses mules, puis s'enveloppant hativement, regagna sa chambre en courant.
Au bruit de la porte qui claquait derriere elle, Sara qui sommeillait sur un tabouret aupres du feu, sursauta et, la reconnaissant, bondit sur ses pieds.
— Alors ?
Rageusement, Catherine arracha le collier barbare et le lanca de toute sa force a travers la piece. Puis elle pietina le manteau de soie.
Des larmes de fureur jaillissaient de ses yeux.
— Alors... rien ! sanglota-t-elle, absolument rien !
— Ce n'est pas vrai ?...
— Mais si, puisque je te le dis...
Les nerfs de Catherine la lachaient maintenant. Elle sanglotait nerveusement sur l'epaule de Sara sans meme songer a enfiler un vetement. La tzingara, sourcils fronces, la laissa se calmer un peu.
Quand les sanglots s'espacerent, elle passa un doigt leger sur la gorge de Catherine ou la trace des dents de Garin se voyait, avec une gouttelette de sang.
— Et ceci ? Qu'est-ce que c'est ?...
Catherine, vaincue, se laissa coucher comme un bebe puis, tandis que Sara soignait la petite blessure, elle raconta tout ce qui s'etait passe entre elle et son mari. Elle conclut avec un haussement d'epaules :
— Il est plus fort que nous ne croyions, Sara... et terriblement maitre de lui. Pour rien au monde il ne manquerait a la parole donnee a son duc.
Mais Sara secoua la tete.
— Ce n'est pas cela. Il a bien failli manquer a cette parole et tu as ete tout pres de gagner. Je sens qu'il y a autre chose, mais quoi ?...
— Comment le savoir ? Que faire ?
— Rien ! Attendre. L'avenir, peut-etre, nous renseignera.
— En tout cas, fit Catherine en se calant confortablement dans ses oreillers, ne compte pas sur moi pour recommencer une telle experience.
Sara se pencha pour embrasser la jeune femme, tira les rideaux du lit, puis sourit :
— Est-ce que je dois aller chercher le fouet a chiens pour la correction que tu m'avais promise ?
Cette fois Catherine se mit a rire et cela lui fit un bien immense. Sa defaite de la soiree perdait de son importance a mesure que son corps retrouvait le calme et le bien-etre. L'experience avait ete interessante, apres tout, mais au fond, il n'etait pas mauvais qu'elle se fut ainsi terminee... puisqu'elle n'aimait pas Garin.
Ces consolantes reflexions ne l'empecherent aucunement de faire toute la nuit des reves extravagants dans lesquels Garin et son irritant secret jouaient le principal role.
Catherine ne portait pas le collier de turquoises, que d'ailleurs elle avait pris en grippe, quand, la main posee sur le poing de son epoux, elle penetra dans la salle du Palais Ducal ou se tenait la duchesse-douairiere de Bourgogne. Garin connaissait trop Marguerite de Baviere, mere de Philippe le Bon, pour avoir conseille a son epouse autre chose qu'une assez simple toilette de velours gris portee sur une robe de dessous en toile d'argent assortie au hennin pointu, si haut que la jeune femme dut baisser la tete pour franchir le cintre de pierre de la porte. Un unique bijou, mais tres beau, pendait a son cou, au bout d'une mince chaine d'or : une tres belle amethyste reliant entre elles trois perles en poire d'un merveilleux orient.
La salle de reception qui faisait partie des appartements prives de la duchesse etait de dimensions reduites, meublee surtout de coffres et de quelques sieges masses aupres de la fenetre ou se tenait la princesse, assise dans un grand fauteuil armorie. Des carreaux de velours noir etaient eparpilles, a meme le dallage, pour les filles d'honneur.
A cinquante ans passes, Marguerite de Baviere conservait de nombreuses traces d'une beaute qui avait ete celebre. Le port de sa tete fine demeurait inimitable et parvenait a faire paraitre long un cou peu eleve. Ses joues avaient perdu la rondeur de la jeunesse et ses yeux avaient pali un peu leur azur, mais leur regard restait direct et imperieux et le pli des levres un peu fortes trahissait un caractere energique et obstine. Le nez etait long, mais elegant et bien dessine, les mains admirables et la taille assez elevee.
Depuis la mort de son mari, Marguerite n'avait pas quitte le deuil et se vetait de noir strict, mais somptueux. Sa robe et son hennin de velours noir s'ourlaient tous deux de zibeline, mais un tres beau collier d'or, formant une guirlande de feuilles d'acanthe, luisait sous le voile de mousseline noire qui tombait de la coiffure, enveloppant le cou de la duchesse. Ce deuil severe etait moins inspire, chez cette grande femme hautaine, par les regrets donnes a l'epoux mort que par le souci inflexible de son rang. Bien plus seduisant que le reveche Jean-Sans-Peur, avait ete pour Marguerite le charmant duc Louis d'Orleans qu'a la Cour de France on lui avait prete comme amant. Et les gens bien informes chuchotaient que, plus encore que la lutte d'influence, c'etait la jalousie qui avait pousse Jean-Sans-Peur au crime de la poterne Barbette. Jamais, pourtant, les levres serrees de Marguerite n'avaient laisse echapper leur secret. Elle etait, pour son fils Philippe, une excellente mere et une collaboratrice devouee. Entre ses mains fermes, la Bourgogne se portait bien et Philippe pouvait sans crainte se consacrer aux provinces du Nord.
Autour de leur mere, formant une couronne serree parmi les demoiselles d'honneur, quatre des six filles de la duchesse etaient assises, travaillant avec elle au meme ouvrage de broderie, une immense banniere de guerre, rouge ecartelee d'une croix de Saint-Andre blanche. Du premier regard, Catherine reconnut la jeune veuve du duc de Guyenne, Marguerite, et ressentit une sorte de joie a trouver la celle qui avait tente de sauver Michel de Montsalvy pendant l'emeute de l'hotel Saint-Pol. Elle attachait a cette rencontre une valeur de presage. Agee maintenant de vingt-neuf ans, la jeune duchesse n'avait pas beaucoup change. Elle s'etait seulement un peu alourdie, mais sa peau tres blanche n'avait peut-etre que plus d'eclat.
Plus agee de trois ans que son frere Philippe, elle etait l'ainee de la famille.
Aupres de son eclat epanoui, sa s?ur Catherine faisait etrangement terne. Elle avait une silhouette quasi diaphane, s'habillait sans eclat, comme une religieuse, de robes sombres et de guimpes severes qui ne laissaient passer qu'un visage mince de furet aux yeux inquiets.
Catherine etait la malchanceuse de la famille. Fiancee une premiere fois, a dix ans, au comte Philippe de Vertus, elle avait appris six ans plus tard, au moment ou le mariage devait etre celebre, la mort glorieuse de son fiance dans la boue d'Azincourt. Une autre union, avec l'heritier d'Anjou avait ete projetee, mais la mort brutale du duc Jean, a Montereau, avait rejete chacun des deux fiances dans un camp ennemi, brise le mariage projete. Depuis, Catherine de Bourgogne refusait toutes les demandes.
Les deux autres princesses, Anne et Agnes, dix-neuf et dix-sept ans, encore filles, se contentaient d'etre ravissantes, fraiches et gaies, mais les pauvres de Dijon chantaient deja, avec veneration, les louanges d'Anne qu'ils proclamaient un ange descendu sur la terre.
Toutes deux accueillirent la reverence de Catherine avec un franc sourire qui alla droit au c?ur de la jeune femme.