Tandis qu'un leger murmure s'elevait, la duchesse se tourna vers sa fille ainee qu'elle regarda gravement.
— Marguerite, dit-elle, le bon plaisir de votre frere est de vous mettre a nouveau en puissance d'epoux. Il vient d'accorder votre main a un haut et puissant seigneur, de belle reputation et de vieille noblesse.
— Qui donc, ma mere ? fit Marguerite qui avait pali imperceptiblement.
— Vous devez epouser prochainement Arthur de Bretagne, comte de Richemont. Quant a vous, Anne... et la duchesse se tournait maintenant vers l'une de ses plus jeunes filles avec une emotion qu'elle ne parvenait pas a dissimuler.
— Moi, ma mere ?
Oui, vous, mon enfant. Pour vous aussi votre frere a fait choix d'un epoux. En meme temps que les fiancailles de votre s?ur il entend celebrer les votres avec le regent de France, le duc de Bedford...
La voix de la duchesse avait faibli sur les derniers mots, couverte par le cri de la jeune fille.
— Un Anglais, moi ?
— Il est l'allie de votre frere, fit la duchesse avec un visible effort, et sa politique exige que les liens se resserrent entre notre famille et celle... du roi Henri.
Du fond de la salle, une voix vigoureuse protesta :
— Il n'est d'autre roi de France que Monseigneur Charles et l'Anglais n'est qu'un larron. Sans cette damnee putain d'Isabeau, qui nie la naissance royale de son fils, il n'y aurait aucun doute la-dessus !
Une dame grande et forte qui drapait d'ecarlate une carrure de lansquenet et dont les douces mousselines blanches, encadrant son visage, ne parvenaient pas a idealiser les traits vigoureux et le semblant de moustache, avait franchi la porte en femme habituee a les voir s'ouvrir automatiquement devant elle. Loin de s'irriter de cette entree fracassante, la duchesse la regardait venir en souriant. Nul a la cour n'ignorait que la noble dame Ermengarde de Chateauvillain, grande maitresse de la maison de la duchesse avait son franc-parler, qu'elle etait l'ennemie irreductible de l'alliance anglaise et l'eut proclame en pleine cour de Westminster si ses convictions lui eussent paru necessiter un tel eclat. Elle haissait l'Anglais, ne permettait a personne d'en douter et la puissance de son courroux avait deja fait reculer plus d'un vaillant chevalier.
— Ma mie, fit la duchesse gentiment, le malheur veut qu'il y ait doute !
Pas pour moi qui suis bonne Francaise autant que bonne Bourguignonne ! Ainsi l'on va livrer cette agnelle a un boucher anglais
? fit-elle en etendant vers la princesse Anne une main grande comme un plat, mais d'une etrange beaute.
La pauvrette n'avait nul besoin qu'on l'encourageat a perdre contenance car, oubliant tout protocole, elle s'etait.mise a pleurer doucement.
— Le Duc le veut, ma bonne Ermengarde. Puisque vous etes si fidele Bourguignonne, vous savez que nul ne se peut opposer a sa volonte.
— C'est bien ce qui m'enrage ! fit dame Ermengarde en se carrant dans le fauteuil qu'Anne de Bourgogne avait abandonne pour s'agenouiller pres de sa mere.
Soudain, son regard se fixa sur Catherine qui avait assiste, un peu eberluee, a son entree tumultueuse. La belle et grande main se tendit vers elle :
— Est-ce la notre nouvelle dame de parage ? demanda-t-elle.
— C'est en effet dame Catherine de Brazey, fit la duchesse tandis que l'interessee saluait, avec tout le respect requis, la comtesse de Chateauvillain.
Celle-ci la regarda faire, repondit par un signe de tete, puis declara avec bonne humeur :
— Jolie recrue !... Morbleu, ma belle, si j'etais votre mari je monterais une garde severe autour de vous. Je sais ici plus d'un seigneur qui n'aura bientot plus d'autre idee que vous mettre en son lit le plus vite possible.
— Ermengarde !... reprocha la duchesse. Vous genez cette petite.
— Bah, fit dame Ermengarde avec un large sourire qui montra une redoutable rangee de solides dents blanches, un compliment n'a jamais tue personne quand il est sincere et je suppose que dame Catherine en a deja entendu d'autres...
La bonne dame eut sans doute discouru un bon moment sur ce sujet car elle aimait les contes gaillards et les histoires lestes. Mais la duchesse Marguerite se hata de couper court en informant ses dames qu'elles etaient toutes invitees a preparer leurs coffres pour se rendre en Flandres et en les priant de la laisser seule avec « sa chere amie de Chateauvillain avec qui de fort importantes questions devaient etre debattues ».
Au milieu des autres, Catherine fit la reverence et quitta la salle avec l'idee de se mettre a la recherche de Landry. Mais dans la galerie, Marie de Vaugrigneuse la retint par sa manche.
— J'admire beaucoup le velours que vous portez, ma chere. Est-ce chez Monsieur votre oncle que vous vous fournissez ?
— Non, fit Catherine gracieusement, se souvenant des indications de Garin, ce sont les anes de Monsieur votre aieul qui vont les chercher pour moi jusqu'a Genes...
Des qu'elle eut le loisir de le faire, Catherine essaya de retrouver Landry. Mais le logis des chevaucheurs ducaux se trouvait aupres des ecuries ou une dame de parage n'avait que faire sans l'aveu de la duchesse et, de plus, il lui fut repondu, par l'ecuyer auquel elle s'adressa, que Landry Pigasse ne faisait que toucher terre a Dijon. Il se restaurait pour le moment et reprendrait la route le soir meme, porteur de depeches que le chancelier Rolin avait fait parvenir de Beaune dans la journee. Il devait franchir les portes de la ville avant la cloture...
N'osant insister, Catherine rentra chez elle, pensant que, si elle devait faire partie de l'escorte des princesses, elle aurait, en Flandres, toutes les chances de retrouver son ami d'enfance. Elle avait eprouve une joie profonde a le revoir car il portait en lui certains liens rompus avec le passe, tous ceux qui l'unissaient encore a la boutique du Pont-au-Change, aux rues de Paris et au terrible jour de l'emeute.
Les semaines suivantes, elle n'eut pas le loisir de s'etendre longuement sur les reminiscences d'autrefois. Presque chaque jour, elle se rendait au palais ducal aupres de la duchesse-douairiere qui s'etait prise d'amitie pour elle et reclamait volontiers ses services.
Catherine s'etait vue chargee, avec Marie de Vaugrigneuse, qui etait la filleule de la duchesse, de la garde- robe de sa maitresse. Cela n'allait pas sans coups de bec et coups de griffes car la sympathie n'etait toujours pas nee entre les deux jeunes femmes. Catherine se fut fort bien passee de cette petite guerre, la jeune fille ne lui inspirant qu'une indifference dedaigneuse, mais son caractere entier ne lui permettait pas d'endurer patiemment les continuelles piqures d'amour-propre dont la gratifiait Marie. Les tissus de l'oncle Mathieu et les anes du grand-pere Vaugrigneuse, dont l'anoblissement etait assez recent et qui avait gagne sa fortune dans le commerce, clandestin, mais tres remunerateur, de ces interessants animaux, faisaient la plupart du temps les frais de la guerre.
Autre sujet d'activite pour la jeune femme : le prochain depart vers les Flandres et les preparatifs du double mariage des princesses. Etant attachee a la garde-robe, Catherine s'occupait activement du trousseau des deux princesses, les aidait a choisir les tissus, les modeles de robes, harcelant dame Gauberte, la bonne faiseuse, avec l'aide vigoureuse, il est vrai, d'Ermengarde de Chateauvillain. Elle avait eu l'adresse de se faire une alliee de la redoutable grande maitresse par l'offrande, gracieuse autant que discrete, d'une magnifique piece de velours de Genes, pourpre et or, prise chez l'oncle Mathieu et qui avait fait la joie de la comtesse. Celle-ci appreciait au plus haut point les couleurs violentes et surtout le rouge vif, qui, pensait-elle, ajoutait a sa majeste naturelle. La piece de velours et l'irresistible sourire de Catherine, joints a une incontestable competence en matiere d'elegance et de soins menagers, avaient definitivement range la comtesse du cote de l'epouse du grand argentier.