Les enfants et les femmes, en noz jours, regentent les hommes plus vieux et experimentez, sur les loix Ecclesiastiques: Là où la premiere de celle de Platon leur deffend de s'enquerir seulement de la raison des loix civiles, qui doivent tenir lieu d'ordonnances divines. Et permettant aux vieux, d'en communiquer entre eux, et avec le Magistrat: il adjouste, pourveu que ce ne soit en presence des jeunes, et personnes profanes.
Un Evesque a laissé par escrit, qu'en l'autre bout du monde, il y a une Isle, que les anciens nommoient Dioscoride: commode en fertilité de toutes sortes d'arbres et fruits, et salubrité d'air: de laquelle le peuple est Chrestien, ayant des Eglises et des Autels, qui ne sont parez que de croix, sans autres images: grand observateur de jeusnes et de festes: exacte païeur de dismes aux Prestres: et si chaste, que nul d'eux ne peut cognoistre qu'une femme en sa vie. Au demeurant, si contant de sa fortune, qu'au milieu de la mer, il ignore l'usage des navires: et si simple, que de la religion qu'il observe si songneusement, il n'en entend un seul mot. Chose incroyable, à qui ne sçauroit, les Payens si devots idolatres, ne cognoistre de leurs Dieux, que simplement le nom et la statue.
L'ancien commencement de Menalippe , tragedie d'Euripides, portoit ainsi.
O Juppiter, car de toy rien sinon
Je ne cognois seulement que le nom .
J'ay veu aussi de mon temps, faire plainte d'aucuns escrits, de ce qu'ils sont purement humains et philosophiques, sans meslange de Theologie. Qui diroit au contraire, ce ne seroit pourtant sans quelque raison; Que la doctrine divine tient mieux son rang à part, comme Royne et dominatrice: Qu'elle doit estre principale par tout, point suffragante et subsidiaire: Et qu'à l'aventure se prendroient les exemples à la Grammaire, Rhetorique, Logique, plus sortablement d'ailleurs que d'une si sainte matiere; comme aussi les arguments des Theatres, jeux et spectacles publiques. Que les raisons divines se considerent plus venerablement et reveremment seules, et en leur stile, qu'appariées aux discours humains. Qu'il se voit plus souvent cette faute, que les Theologiens escrivent trop humainement, que cett'autre, que les humanistes escrivent trop peu theologalement: La Philosophie, dit Sainct Chrysostome, est pieça banie de l'escole saincte, comme servante inutile, et estimée indigne de voir seulement en passant de l'entrée, le sacraire des saincts Thresors de la doctrine celeste. Que le dire humain a ses formes plus basses, et ne se doit servir de la dignité, majesté, regence, du parler divin. Je luy laisse pour moy, dire, verbis indisciplinatis , fortune, destinée, accident, heur, et malheur, et les Dieux, et autres frases, selon sa mode.
Je propose les fantasies humaines et miennes, simplement comme humaines fantasies, et separement considerées: non comme arrestées et reglées par l'ordonnance celeste, incapable de doubte et d'altercation. Matiere d'opinion, non matiere de foy. Ce que je discours selon moy, non ce que je croy selon Dieu, d'une façon laïque, non clericale: mais tousjours tres-religieuse. Comme les enfants proposent leurs essays, instruisables, non instruisants.
Et ne diroit-on pas aussi sans apparence, que l'ordonnance de ne s'entremettre que bien reservément d'escrire de la Religion, à tous autres qu'à ceux qui en font expresse profession, n'auroit pas faute de quelque image d'utilité et de justice; et à moy avec, peut estre de m'en taire.
On m'a dict que ceux mesmes, qui ne sont pas des nostres, deffendent pourtant entre eux l'usage du nom de Dieu, en leurs propos communs: Ils ne veulent pas qu'on s'en serve par une maniere d'interjection, ou d'exclamation, ny pour tesmoignage, ny pour comparaison: en quoy je trouve qu'ils ont raison. Et en quelque maniere que ce soit, que nous appellons Dieu à nostre commerce et societé, il faut que ce soit serieusement, et religieusement.
Il y a, ce me semble, en Xenophon un tel discours, où il montre que nous devons plus rarement prier Dieu: d'autant qu'il n'est pas aisé, que nous puissions si souvent remettre nostre ame, en cette assiette reglée, reformée, et devotieuse, où il faut qu'elle soit pour ce faire: autrement nos prieres ne sont pas seulement vaines et inutiles, mais vitieuses. Pardonne nous, disons nous, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offencez. Que disons nous par là, sinon que nous luy offrons nostre ame exempte de vengeance et de rancune? Toutesfois nous invoquons Dieu et son ayde, au complot de noz fautes, et le convions à l'injustice.
Quæ nisi seductis nequeas committere divis .
L'avaricieux le prie pour la conservation vaine et superflue de ses thresors: l'ambitieux pour ses victoires, et conduite de sa fortune: le voleur l'employe à son ayde, pour franchir le hazard et les difficultez, qui s'opposent à l'execution de ses meschantes entreprinses: ou le remercie de l'aisance qu'il a trouvé à desgosiller un passant. Au pied de la maison, qu'ils vont escheller ou petarder, ils font leurs prieres, l'intention et l'esperance pleine de cruauté, de luxure, et d'avarice.
Hoc ipsum quo tu Jovis aurem impellere tentas,
Dic agedum, Staio, pro Juppiter, ô bone, clamet,
Juppiter, at sese non clamet Juppiter ipse .
La Royne de Navarre Margueritte, recite d'un jeune Prince, et encore qu'elle ne le nomme pas, sa grandeur l'a rendu cognoissable assez, qu'allant à une assignation amoureuse, et coucher avec la femme d'un Advocat de Paris, son chemin s'addonnant au travers d'une Eglise, il ne passoit jamais en ce lieu sainct, allant ou retournant de son entreprinse, qu'il ne fist ses prieres et oraisons. Je vous laisse à juger, l'ame pleine de ce beau pensement, à quoy il employoit la faveur divine: Toutesfois elle allegue cela pour un tesmoignage de singuliere devotion. Mais ce n'est pas par cette preuve seulement qu'on pourroit verifier que les femmes ne sont gueres propres à traiter les matieres de la Theologie.
Une vraye priere, et une religieuse reconciliation de nous à Dieu, elle ne peut tomber en une ame impure et soubsmise, lors mesmes, à la domination de Satan. Celuy qui appelle Dieu à son assistance, pendant qu'il est dans le train du vice, il fait comme le coupeur de bourse, qui appelleroit la justice à son ayde; ou comme ceux qui produisent le nom de Dieu en tesmoignage de mensonge.
tacito mala vota susurro,
Concipimus .
Il est peu d'hommes qui ozassent mettre en evidence les requestes secrettes qu'ils font à Dieu.
Haud cuivis promptum est, murmurque humilesque susurros
Tollere de templis, et aperto vivere voto .
Voyla pourquoy les Pythagoriens vouloyent qu'elles fussent publiques, et ouyes d'un chacun; afin qu'on ne le requist de chose indecente et injuste, comme celuy-là:
clare cum dixit Apollo,
Labra movet metuens audiri: pulchra Laverna
Da mihi fallere, da justum sanctúmque videri.
Noctem peccatis, et fraudibus obijce nubem .
Les Dieux punirent grievement les iniques voeux d'OEdipus en les luy ottroyant. Il avoit prié, que ses enfants vuidassent entre eux par armes la succession de son estat, il fut si miserable, de se voir pris au mot. Il ne faut pas demander, que toutes choses suivent nostre volonté, mais qu'elle suive la prudence.
Il semble, à la verité, que nous nous servons de nos prieres, comme d'un jargon, et comme ceux qui employent les paroles sainctes et divines à des sorcelleries et effects magiciens: et que nous facions nostre compte que ce soit de la contexture, ou son, ou suitte des motz, ou de nostre contenance, que depende leur effect. Car ayans l'ame pleine de concupiscence, non touchée de repentance, ny d'aucune nouvelle reconciliation envers Dieu, nous luy allons presenter ces parolles que la memoire preste à nostre langue: et esperons en tirer une expiation de nos fautes. Il n'est rien si aisé, si doux, et si favorable que la loy divine: elle nous appelle à soy, ainsi fautiers et detestables comme nous sommes: elle nous tend les bras, et nous reçoit en son giron, pour vilains, ords, et bourbeux, que nous soyons, et que nous ayons à estre à l'advenir. Mais encore en recompense, la faut-il regarder de bon oeil: encore faut-il recevoir ce pardon avec action de graces: et au moins pour cet instant que nous nous addressons à elle, avoir l'ame desplaisante de ses fautes, et ennemie des passions qui nous ont poussé à l'offencer: Ny les Dieux, ny les gens de bien, dict Platon, n'acceptent le present d'un meschant.
Immunis aram si tetigit manus,
Non sumptuosa blandior hostia
Mollivit aversos Penates,
Farre pio Et saliente mica .