A peine la porte de sa chambre refermee sur elle, Catherine se precipita vers le candelabre ou brulaient des bougies neuves, deplia le billet et se pencha pour lire. Le billet etait court, sans signature, mais Catherine n'en avait pas besoin.

« Demain, venez a la chapelle vers l'heure de tierce Vous etes en danger. Brulez ce billet. »

Une sueur froide glissa brusquement le long du dos de la jeune femme. Elle eut la sensation aigue d'une menace et tout, autour d'elle, lui parut subitement hostile. Son regard effraye se porta tout naturellement sur le mur de sa chambre et s'agrandit tandis qu'elle sursautait. Dans la lumiere mouvante des chandelles, les personnages de la tapisserie avaient l'air de prendre vie. Le mur grouillait d'hommes en armes, de glaives brandis sous lesquels tombaient des enfants au maillot.

Dans les pas des tueurs, des femmes agenouillees tendaient des bras desesperes.

1. Neuf heures du matin.

L'une d'elles, la gorge ouverte d'un coup de glaive, basculait en arriere, les yeux revulses. Partout du sang, des bouches ouvertes sur des cris silencieux, mais que Catherine crut entendre. Toute la tapisserie s'etait mise a vivre !

Sara, qui dormait sur un escabeau dans l'ombre du lit, s'eveilla tout a coup et s'effraya de la paleur de Catherine, de ses levres tremblantes, de son maintien rigide et de son regard hallucine. Elle poussa une exclamation.

— Seigneur ! Qu'est-ce que tu as ?

Catherine frissonna. Son regard s'arracha de la scene de meurtre pour revenir a Sara. Elle lui tendit le billet qu'elle avait garde dans sa main.

— Tiens, lis ! dit-elle d'un ton morne. C'est toi qui avais raison, nous n'aurions jamais du venir ici. J'ai bien peur que nous ne soyons tombees dans un affreux guepier.

La bohemienne lut avec application, epelant chaque mot a mi-voix, puis elle rendit le morceau de parchemin.

— Nous en sortirons peut-etre plus aisement que tu ne crois. Si je ne me trompe, il y a la quelqu'un qui songe a nous aider. Qui est-ce ?

— La dame de Rais. Elle est timide, silencieuse, et parait terrorisee. Mais il est difficile de savoir ce qu'elle pense. Si seulement je pouvais savoir de quoi elle a peur...

Une voix craintive qui semblait venir des profondeurs de la cheminee fit retourner les deux femmes.

— Elle a peur de son mari, comme nous tous ici. Elle a peur de monseigneur Gilles.

Une tres jeune fille, mince et rougissante, vetue comme une servante, surgit de l'ombre creee par le large manteau de pierre. Son bonnet retenait difficilement une epaisse chevelure blond fonce et elle tordait entre ses doigts son tablier bleu.

Catherine vit que ses yeux etaient pleins de larmes... Soudain, avant qu'elle ait pu prevenir son geste, la petite servante s'etait jetee a ses pieds et avait noue les bras autour de ses jambes.

— Pardonnez-moi, Madame... mais j'ai trop peur, voila des jours que j'ai peur ! Je me suis cachee ici pour vous supplier de m'emmener avec vous. Car vous allez partir, n'est-ce pas, vous n'allez pas rester dans ce chateau de malheur ?

— Je voudrais bien partir, fit Catherine en essayant de detacher les mains crispees de la petite, mais je crains d'etre prisonniere. Allons, releve-toi, calme-toi ! De quoi as-tu si peur puisque monseigneur Gilles n'est pas ici ?

— Il n'est pas ici mais il va revenir ! Vous ne savez pas quel homme c'est que le seigneur a la Barbe Bleue ! C'est un monstre !

— Le seigneur a la Barbe Bleue ? coupa Sara. Quel drole de nom !...

— Il lui va si bien ! fit la jeune fille toujours agenouillee. Sur ses terres, nous sommes nombreux a l'appeler ainsi quand les hommes d'armes ne peuvent pas nous entendre. Il est dur, cruel et faux... Il prend ce qui lui plait, sans souci des souffrances qu'il cause.

Doucement mais fermement, Catherine avait releve la petite servante et l'avait fait asseoir sur un coffre. Elle s'assit aupres d'elle.

— Comment t'appelles-tu ? Comment es-tu venue ici ?

— Je m'appelle Guillemette, Madame, et je suis de Villemoisan, un gros village au nord de ce chateau. Les hommes de monseigneur Gilles m'ont enlevee l'an passe pour me conduire ici, avec deux autres fillettes du village. Nous devions servir la dame de Rais, mais j'ai vite compris que c'etait son epoux que nous devions servir. Il etait revenu au chateau pour quelques jours. Jeannette et Denise, mes deux compagnes, sont mortes toutes les deux peu apres notre arrivee...

— Mais... de quoi ? demanda Catherine en baissant le ton instinctivement.

Monseigneur Gilles et ses hommes se sont amuses d'elles. On a retrouve Jeannette dans la paille de l'ecurie... etranglee.

Quant a Denise, c'est au pied du donjon que les lavandieres l'ont decouverte un matin, les reins brises.

— Et toi ? Comment as-tu echappe ?

Guillemette eut un sourire tremblant et se mit a

pleurer."

— Moi, on m'a trouvee trop maigre... et puis le maitre est parti avant d'avoir eu le temps. Mais il a promis de s'occuper de moi quand il reviendrait. Vous voyez bien qu'il faut m'emmener... Si je reste ici, moi aussi, je mourrai. Et je voudrais tant rentrer chez nous ! Je vous en conjure, Madame, si vous fuyez, laissez-moi vous suivre. Vous etes ma seule chance...

— Mais, pauvrette, je ne sais meme pas si je pourrai fuir moi-meme. Je suis prisonniere autant que toi...

— Je sais bien. Pourtant, vous avez une chance, vous... dans ce billet que vous venez de lire !

Catherine se leva et fit quelques pas dans la chambre, tournant et retournant entre ses doigts le morceau de parchemin.

Son visage etait sombre, mais, au fond d'elle-meme, la voix tenace de l'espoir s'etait levee. La dame de Rais devait connaitre a fond ce chateau, savoir comment il etait possible d'y entrer ou d'en sortir. Il y avait certainement des souterrains, des passages caches... Elle revint a Guillemette et posa la main sur son epaule.

— Ecoute, dit-elle gentiment, je te promets de t'emmener si je trouve un moyen de fuir. Viens demain vers le milieu du jour. Je te dirai si quelque chose a ete decide... mais il ne faut pas nourrir trop grand espoir, tu sais ?

Le visage de la petite servante s'illumina. Les yeux avaient seche comme par enchantement. Elle adressa a Catherine un rayonnant sourire puis, se baissant vivement, posa ses levres sur la main de la jeune femme.

— Merci ! Oh, merci, gracieuse dame ! Toute ma vie je vous benirai et je prierai pour vous ! Je vous servirai, si vous voulez de moi, je vous suivrai partout comme un chien si c'est votre bon plaisir.

— Mon bon plaisir, pour le moment, coupa Catherine avec un sourire, c'est que tu te calmes et que tu t'en ailles bien vite d'ici ! On pourrait te chercher...

Mais deja, avec une rapide reverence, Guillemette, legere comme un oiseau delivre, s'etait glissee hors de la chambre.

Sara et Catherine, demeurees seules, se regarderent. Lentement, Catherine alla tendre a la flamme d'une chandelle le billet de la dame de Rais. Sara haussa les epaules.

— Que vas-tu faire de cette gamine epouvantee ?

— Comment veux-tu que je le sache ? Je lui ai donne un peu d'espoir, elle est plus calme. Demain, peut-etre, je repondrai a ta question. Viens m'aider a me deshabiller. Autant essayer de dormir.

Catherine proceda en silence a sa toilette de nuit, s'enfermant dans ses pensees comme le faisait Sara elle-meme. Manie par les mains expertes de la bohemienne, le peigne d'argent passait et repassait dans les longues meches dorees. Sara adorait s'occuper des cheveux de Catherine. Elle avait pour les soigner des gestes doux et presque devotieux. Elle etait fiere de cette royale parure, infiniment plus que sa proprietaire qui, parfois, trouvait un peu longues les seances de coiffure.

— La dame a la Toison d'Or... murmura Sara. Tes cheveux sont chaque jour plus beaux ! Monseigneur Philippe, sans doute, penserait comme moi.