— Je crois comprendre la pensee de messire l'Hermite, dit-elle tranquillement. Il veut dire que, si je suis prete a tout pour tirer vengeance de La Tremoille, je suis tout indiquee pour jouer ce role.

Ce fut un beau vacarme. Tous les gentilshommes s'etaient mis a crier en meme temps, mais le fausset de l'eveque dominait. Seul, Ambroise de Lore ne disait rien, mais un coin de sa bouche s'etirait d'une maniere qui pouvait, a la rigueur, passer pour une ebauche de sourire. Il fallut que la duchesse-reine elevat le ton pour ramener le silence.

— Calmez-vous, messeigneurs ! dit-elle froidement. Je comprends votre emoi devant une proposition d'une telle hardiesse, mais rien ne sert de crier. Au surplus, nous sommes devant une situation si difficile que les chances de reussite les plus minces... comme les plus folles, doivent etre examinees avec sang-froid ! Quant a vous, Catherine, avez-vous bien mesure la portee de vos paroles et les dangers auxquels pareille aventure vous exposerait ?

Je les ai mesures, Madame, et ne les ai point trouves insurmontables.

Si je puis vous servir et servir le Roi tout en vengeant les miens, je me tiendrai pour heureuse.

Le regard bleu du Connetable chercha celui de la jeune femme et s'y implanta.

— Vous allez risquer votre vie a chaque instant. Si La Tremoille vous reconnait, vous ne verrez pas se lever le jour suivant. Le savez-vous ?

— Je le sais, Monseigneur, fit-elle avec une courte reverence, et j'en accepte le risque. Au surplus, ne faites pas ce risque plus grand qu'il n'est. Le Grand Chambellan me connait bien peu. J'etais des dames de la reine Marie, toutes pieuses et graves, et qui ne frequentent que fort peu l'entourage du Roi. La Tremoille m'a vue deux ou trois fois, toujours melee aux autres dames, trop peu pour me reconnaitre, surtout sous un deguisement.

— Parfait, dans ce cas ! Vous avez reponse a tout et j'admire votre courage.

Il se detourna legerement pour parler a Tristan l'Hermite, mais Jean de Bueil s'interposa.

— En admettant que nous acceptions la proposition de Madame de Montsalvy et que nous lui laissions jouer ce role dangereux et, a tout le moins, deplaisant, rien ne dit qu'elle pourrait le faire d'une maniere suffisamment convaincante. Ces gens d'Egypte ont d'etranges facons et de plus etranges coutumes encore...

— Des coutumes que je connais, coupa Catherine doucement.

Messire, ma fidele nourrice, Sara, est l'une de ces Egyptiennes. Elle fut jadis vendue comme esclave a Venise.

L'objection suivante vint de Pierre de Chaumont.

— Ces gens accepteront-ils d'etre nos complices ? Ils sont sauvages, independants, insaisissables.

Un froid sourire detendit les levres minces du Flamand, un sourire qui contenait une menace.

Eux aussi aiment l'or... et craignent le bourreau ! La menace de la corde, jointe a la promesse d'une belle somme, les rendra tres comprehensifs. De plus, cette Sara, etant l'une des leurs, sera indubitablement bien accueillie... et, s'il plait a Monseigneur le Connetable, j'accompagnerai moi-meme dame Catherine chez les Bohemiens J'assurerai la liaison avec vous, messeigneurs !

— Il me plait ainsi, approuva Richemont, et je crois que ce plan est bon. Quelqu'un a-t-il une objection nouvelle a formuler ?

— Aucune, fit l'eveque, si ce n'est la crainte ou nous sommes de voir cette honnete et noble femme aventurer son ame... et son corps dans une dangereuse aventure. La vertu de Madame de Montsalvy...

— N'a rien a craindre, Votre Reverence, fit Catherine calmement.

Je saurai me garder.

— Mais, insista le prelat, il y a encore un point que j'aimerais eclaircir. Une fois admise aupres de La Tremoille, comment ferez-vous pour le decider a quitter Amboise pour Chinon ? Il aime les filles de Boheme, soit, mais je ne pense pas qu'il leur permette d'agir sur son comportement ou de lui donner des avis ? Vous ne serez rien d'autre, a ses yeux, que l'une d'elles...

Cette fois, Catherine se mit a rire, et ce rire, leger et doux, detendit comme par magie les visages durcis des chevaliers.

— J'ai, la-dessus, mon idee, monseigneur, mais je vous demande permission de la garder pour moi. Sachez seulement que je me servirai de la plus solide des passions du Chambellan : celle de l'or.

— Alors, Dieu vous benisse et vous garde, ma fille ! Nous prierons pour vous !

Il tendit aux levres de la jeune femme qui s'agenouillait sa main gauche ornee d'un enorme saphir tandis que sa main droite tracait sur le beau front leve un geste de benediction.

Le c?ur de Catherine battait comme un tambour sonnant la charge.

Enfin elle allait se battre, se battre elle- meme, affronter l'ennemi jusque dans sa taniere. Dans sa vie, elle avait deja couru bien des aventures, mais ces aventures lui avaient ete imposees par le destin.

Hormis lorsqu'elle avait quitte la Bourgogne pour rejoindre Arnaud dans Orleans assiegee, elle avait du subir ce que la fortune lui apportait, en tirant le meilleur parti possible. Aujourd'hui, de parti delibere, alors que rien ne l'y forcait, simplement pour le repos de sa conscience et l'amour de l'homme a jamais perdu, elle se lancait dans une terrible une folle equipee, ou rien, pas meme son nom, ne pourrait lui porter secours. Si elle etait prise, elle serait pendue comme n'importe laquelle de ces filles d'Egypte dont elle allait prendre l'aspect, et son corps abandonne pourrirait loin de cette terre ou Arnaud, lentement, se mourait. Mais cette pensee meme n'ebranla pas sa resolution.

Perdue dans son reve, elle sursauta quand la voix nette de la Reine prononca :

— Avant de nous separer, jurez de nouveau, messeigneurs, comme vous l'aviez fait a Vannes, de garder fidelement notre secret et de n'avoir ni treve ni repos tant que l'homme dont nous avons jure la perte ne sera pas abattu. Jurez et que nous viennent en aide Madame la Vierge et Monseigneur Jesus-Christ !

D'un meme geste, les chevaliers etendirent leur main droite au-dessus de la croix de saphirs que l'eveque avait decrochee de son cou et leur presentait.

— Nous le jurons ! clamerent-ils d'une seule voix. La Tremoille tombera ou nous perirons !

Puis, l'un apres l'autre, ils vinrent plier le genou devant Yolande qui, a tous, donna sa main a baiser et, enfin, quitterent la salle des tapisseries.

Seuls, Richemont et Tristan l'Hermite demeurerent pour regler les details de l'expedition. Mais, tandis que la Reine et le Connetable s'entretenaient, Catherine s'approcha du Flamand.

— Je veux vous remercier, dit-elle. Votre idee nous a tous sauves et je ne peux m'empecher d'y voir un signe du destin. Vous ne pouviez savoir que ma suivante...

Et pourtant, je le savais, Madame, repliqua Tristan avec un mince sourire. Ne me remerciez pas plus qu'il ne convient. Ce n'est pas moi qui vous ai donne une idee, Dame Catherine, c'est vous qui m'en avez donne une !

— Vous saviez ? Mais comment ?

— Je sais toujours tout ce que je veux savoir ! Mais soyez sans crainte : je vous servirai aussi fidelement que je sers le Connetable.

— Pourquoi ? Vous ne me connaissez pas ?

— Non. Mais je n'ai pas besoin de regarder un etre a deux fois, homme ou femme, pour en connaitre la valeur. Je vous servirai pour la meilleure et la plus simple des raisons : cela me plait !

L'enigmatique Flamand salua et rejoignit son maitre aupres du trone, laissant Catherine songeuse. Quel etait cet homme etrange qui, simple ecuyer, parlait en maitre et qui semblait savoir, par des moyens connus de lui seul, tout ce qui pouvait concerner les gens qu'il approchait ? Qu'il y eut en lui quelque chose d'inquietant, Catherine ne le niait pas, et, pourtant, elle envisageait sans crainte de l'accepter pour compagnon d'aventure. Peut-etre a cause de cette solidite, qui emanait de lui, une solidite differente de celle que lui avait donnee Gauthier, mais, a sa maniere, aussi rassurante !