— S'il m'arrivait de perir a la tache, messire, et si vraiment vous m'aimez, alors j'accepterais ce que vous m'avez offert si follement tout a l'heure. Si je meurs, tuez en memoire de moi le Grand Chambellan !
Le ferez-vous ?
Pierre de Breze tira son epee, la planta devant lui et posa la main sur la garde.
— Sur les saintes reliques qui habitent cette epee, je le jure.
— Catherine, alors, sourit et s'eloigna dans le murmure soyeux de sa longue traine avec un dernier geste d'adieu. Toujours a genoux, Pierre de Breze la regarda disparaitre.
En rentrant dans sa chambre, Catherine eut la surprise d'y trouver Sara aux prises avec Tristan l'Hermite. Les eclats de voix de la bohemienne se faisaient d'ailleurs entendre jusque dans l'escalier alors que le Flamand lui repondait sur un ton beaucoup plus modere. Mais l'arrivee de la jeune femme calma les belligerants. Sara, rouge de fureur, avait son bonnet de travers et Tristan, adosse a la cheminee, les bras croises, un demi-sourire agace.
— Puis-je savoir ce qui se passe ici ? demanda Catherine calmement. On vous entend hurler depuis la galerie !
— On entend hurler Madame ! rectifia paisiblement Tristan. En ce qui me concerne, je ne crois pas avoir eleve le ton.
— Cela ne me dit pas pourquoi vous vous disputez. D'ailleurs, j'ignorais que vous vous connaissiez.
— Nous venons tout juste de faire connaissance, dit le Flamand mi-figue mi-raisin. Autant vous dire tout de suite, gracieuse dame, que votre fidele suivante n'approuve pas nos projets.
Ces quelques mots eurent le don de ranimer la fureur de Sara, qu'elle tourna cette fois contre Catherine.
— Tu n'es pas folle ? Tu veux te deguiser en Tzigane et, ainsi approcher ce miserable Chambellan ? Pourquoi faire, s'il te plait ?
Pour danser devant lui comme Salome devant le roi Herode ?
— Tout juste ! retorqua la jeune femme sechement. A cette difference pres que ce n'est pas la tete d'un autre que je reclamerai, c'est la sienne propre ! Au surplus, tu m'etonnes, Sara. Je pensais que tu serais heureuse de vivre un moment parmi les tiens.
— Reste a savoir si ce sont les miens. Je n'appartiens pas a toutes les tribus errantes. Je suis de la puissante tribu des Kalderas qui ont jadis suivi les hordes de Gengis Khan et rien ne prouve que les gens campes sous Amboise soient de meme souche que moi. Ce ne sont peut etre que de vulgaires Djats et...
— La meilleure maniere d'etre fixes, c'est d'y aller voir ! coupa Tristan.
— Vous ne savez pas ce que vous dites. Les Djats ne m'accueilleraient pas. Il y a, en ce moment, une rivalite entre les deux tribus. Je ne veux pas risquer...
Cette fois, ce fut Catherine qui, impatiemment, lui coupa la parole.
— En voila assez ! J'irai, avec messire l'Hermite, chez ces Tziganes. Libre a toi de rester ici. Quelle que soit la tribu, elle m'accueillera, moi. Quand partons- nous, messire ?
— Demain, dans la nuit.
— Pourquoi pas cette nuit ?
— Parce que, cette nuit, nous aurons autre chose a faire. Puis-je vous demander d'oter votre coiffure ?
— Et pourquoi pas sa robe ? grogna Sara vexee d'avoir ete rabrouee par Catherine. Les soins de toilette d'une dame ne sont pas pour un homme !
— Aussi n'ai-je pas l'intention d'usurper vos fonctions, douce dame, repliqua le Flamand avec un sourire moqueur. Je veux seulement me rendre compte de quelque chose.
Docilement, Catherine avait deja defait les epingles qui retenaient son hennin, denoue ses cheveux qui, liberes, mousserent en vagues d'or roux jusqu'au ras des epaules.
— Vos cheveux ne sont pas plus longs ? s'etonna Tristan. Voila qui va sembler etrange. Toutes ces bohemiennes d'enfer ont des serpents de cheveux noirs qui se tordent jusque sur leurs reins.
Catherine retint juste a temps Sara qui voulait sauter a la figure de Tristan en glapissant qu'elle etait, elle aussi, une «bohemienne d'enfer» et qu'elle allait lui montrer de quoi elle etait capable.
— Allons, calme-toi ! Messire l'Hermite n'a pas voulu t'offenser. Il a parle sans reflechir. N'est-ce pas, messire ?
— Ben voyons ! grogna Tristan d'un air aussi peu convaincu que possible. Ma langue a ete trop vite, voila tout ! Revenons a vos cheveux, dame Catherine.
— J'ai du les couper voici bientot un an. Est-ce que c'est un grand obstacle ?
— N...on ! Mais nous n'aurons pas trop du temps qui nous reste.
Puis-je vous demander de m'accompagner ce soir, apres le coucher du soleil, pour une expedition dans la ville, dame Catherine ?
— La ou elle ira, j'irai ! affirma Sara. Et je voudrais bien voir qu'on essaie de m'en empecher !
Le Flamand laissa echapper un soupir et regarda Sara de travers.
— Si vous voulez ! Cela importe peu puisqu'il parait que vous savez tenir votre langue. Viendrez-vous, dame Catherine ?
— Bien entendu. Venez nous chercher quand vous le jugerez bon.
Nous vous attendrons. Mais ou allons- nous ?
— Je vous demande de ne pas me poser de questions. Essayez de me faire confiance !
Le compliment a rebours de Tristan avait paru calmer Sara qui, tout en maugreant, se mit a recoiffer sa maitresse. Un instant, le Flamand contempla les mains habiles de la bohemienne qui voltigeaient autour du fragile edifice de toile d'argent et de mousseline noire. Comme s'il se parlait a lui-meme il murmura :
— C'est vraiment tres joli ! Mais, ce soir, il faudra mettre quelque chose de moins voyant. Et, demain, des vetements d'homme seront la meilleure solution pour faire le chemin.
Du coup, Sara laissa tomber peigne et epingles et se planta devant le Flamand, les poings sur les hanches. Avancant le nez presque a toucher celui de son ennemi, elle articula :
— N'y comptez pas pour moi, mon garcon ! Trouvez des vetements d'homme a Dame Catherine si cela lui plait - d'ailleurs je crois qu'elle adore ca - mais moi» aucune force humaine ne m'obligera plus a m'introduire dans ces ridicules tuyaux que vous appelez chausses ni dans ces non moins ridicules tuniques courtes que vous appelez huques ou pourpoints. Si vous voulez que je m'habille en homme, trouvez-moi une robe de moine. Au moins, la-dedans, il y a de la place !
Tristan ouvrit la bouche pour repliquer quelque chose, se ravisa, jeta un coup d'?il appreciateur a la majestueuse personne de Sara et finit par sourire, de son curieux sourire etire qui ne montrait pas les dents. Puis soupira en haussant les epaules :
— Au fond, ce n'est pas une si mauvaise idee. A ce soir, Dame Catherine. Attendez-moi vers l'heure de complies !
L'angelus etait sonne depuis longtemps quand Catherine, Tristan et Sara quitterent le chateau, par la poterne de la grande porte ducale, pour s'enfoncer dans le quartier commercant qui environne la cathedrale Saint-Maurice. Vu l'heure tardive, les volets de bois armes de fer etaient rabattus sur tous les eventaires, mais, par les interstices, on apercevait les lueurs des chandelles allumees et des lampes a huile.
La ville, dominee par les fleches elancees de sa cathedrale, allait bientot s'endormir. Derriere les facades muettes, on devinait les menageres affairees a la vaisselle et aux derniers rangements pendant que l'epoux comptait le gain de la journee ou commentait les nouvelles de la province avec quelque voisin.
Les trois promeneurs se hataient par les rues etroites. Les epais manteaux sombres des femmes, leurs capuchons rabattus, en faisaient deux ombres legeres, a peine distinctes des murailles noires. Quant a Tristan l'Hermite, il avait rabattu sur ses yeux les pans de son vaste chaperon noir car une pluie fine, une de ces pluies douces qui penetrent bien la terre et font mieux gonfler la seve, s'etait mise a tomber en meme temps que le crepuscule. L'eau du ciel rendait glissants les gros galets ronds qui pavaient la rue ou Catherine et ses compagnons s'etaient engages, une rue creusee en son milieu d'un caniveau d'ou montaient d'acres odeurs de poisson, si fortes que Catherine sortit son mouchoir parfume d'iris et le tint contre ses narines. Sara, elle se contenta de grogner :