Tour a tour, il secourut le dauphin de France et le roi d'Angleterre, les templiers de Jerusalem, le surena des Parthes, le negus d'Abyssinie, et l'empereur de Calicut. Il combattit des Scandinaves recouverts d'ecailles de poisson, des Negres munis de rondaches en cuir d'hippopotame et montes sur des anes rouges, des Indiens couleur d'or et brandissant par-dessus leurs diademes de larges sabres, plus clairs que des miroirs. Il vainquit les Troglodytes et les Anthropophages. Il traversa des regions si torrides que sous l'ardeur du soleil les chevelures s'allumaient d'elles-memes, comme des flambeaux; et d'autres qui etaient si glaciales que les bras, se detachant du corps, tombaient par terre; et des pays ou il y avait tant de brouillard que l'on marchait environne de fantomes.

Des republiques en embarras le consulterent. Aux entrevues d'ambassadeurs, il obtenait des conditions inesperees. Si un monarque se conduisait trop mal, il arrivait tout a coup, et lui faisait des remontrances. Il affranchit des peuples. Il delivra des reines enfermees dans des tours. C'est lui, et pas un autre, qui assomma la guivre de Milan et le dragon d'Oberbirbach.

Or l'Empereur d'Occitanie, ayant triomphe des Musulmans espagnols, s'etait joint par concubinage a la s?ur du calife de Cordoue; et il en conservait une fille, qu'il avait elevee chretiennement. Mais le Calife, faisant mine de vouloir se convertir, vint lui rendre visite, accompagne d'une escorte nombreuse, massacra toute sa garnison, et le plongea dans un cul-de-basse-fosse, ou il le traitait durement, afin d'en extirper des tresors.

Julien accourut a son aide detruisit l'armee des infideles, assiegea la ville, tua le calife, coupa sa tete, et la jeta comme une boule par-dessus les remparts. Puis il tira l'Empereur de sa prison, et le fit remonter sur son trone, en presence de toute sa cour.

L'Empereur, pour prix d'un tel service, lui presenta dans des corbeilles beaucoup d'argent; Julien n'en voulut pas. Croyant qu'il en desirait davantage, il lui offrit les trois quarts de ses richesses; nouveau refus; puis de partager son royaume; Julien le remercia. Et l'Empereur en pleurait de depit, ne sachant de quelle maniere temoigner sa reconnaissance, quand tout a coup il se frappa le front, dit un mot a l'oreille d'un courtisan; les rideaux d'une tapisserie se releverent, et une jeune fille parut.

Ses grands yeux noirs brillaient comme deux lampes tres douces. Un sourire charmant ecartait ses levres. Les anneaux de sa chevelure s'accrochaient aux pierreries de sa robe entrouverte; et, sous la transparence de sa tunique, on devinait la jeunesse de son corps. Elle etait toute mignonne et potelee, avec la taille fine.

Julien fut ebloui d'amour, d'autant plus qu'il avait mene jusqu'alors une vie tres chaste.

Donc il recut en mariage la fille de l'Empereur, avec un chateau qu'elle tenait de sa mere; et, les noces etant terminees, on se quitta, apres des politesses infinies de part et d'autre.

C'etait un palais de marbre blanc, bati a la mauresque sur un promontoire, dans un bois d'orangers. Des terrasses de fleurs descendaient jusqu'au bord d'un golfe, ou des coquilles roses craquaient sous les pas. Derriere le chateau, s'etendait une foret ayant le dessin d'un eventail. Le ciel continuellement etait bleu, et les arbres se penchaient tour a tour sous la brise de la mer et le vent des montagnes qui fermaient au loin l'horizon.

Les chambres, pleines de crepuscule, se trouvaient eclairees par les incrustations des murailles. De hautes colonnettes, minces comme des roseaux, supportaient la voute des coupoles, decorees de reliefs imitant les stalactites des grottes.

Il y avait des jets d'eau dans les salles, des mosaiques dans les cours, des cloisons festonnees, mille delicatesses d'architecture, et partout un tel silence que l'on entendait le frolement d'une echarpe ou l'echo d'un soupir.

Julien ne faisait plus la guerre. Il se reposait, entoure d'un peuple tranquille; et chaque jour, une foule passait devant lui, avec des genuflexions et des baise-mains a l'orientale.

Vetu de pourpre, il restait accoude dans l'embrasure d'une fenetre, en se rappelant ses chasses d'autrefois; et il aurait voulu courir sur le desert apres les gazelles et les autruches, etre cache dans les bambous a l'affut des leopards, traverser des forets pleines de rhinoceros, atteindre au sommet des monts les plus inaccessibles pour viser mieux les aigles, et sur les glacons de la mer combattre les ours blancs.

Quelquefois, dans un reve, il se voyait comme notre pere Adam au milieu du Paradis, entre toutes les betes; en allongeant le bras, il les faisait mourir; ou bien, elles defilaient deux a deux, par rang de taille, depuis les elephants et les lions jusqu'aux hermines et aux canards, comme le jour qu'elles entrerent dans l'arche de Noe. A l'ombre d'une caverne, il dardait sur elles des javelots infaillibles; il en survenait d'autres; cela n'en finissait pas; et il se reveillait en roulant des yeux farouches.

Des princes de ses amis l'inviterent a chasser. Il s'y refusa toujours, croyant, par cette sorte de penitence, detourner son malheur; car il lui semblait que du meurtre des animaux dependait le sort de ses parents. Mais il souffrait de ne pas les voir, et son autre envie devenait insupportable.

Sa femme, pour le recreer, fit venir des jongleurs et des danseuses.

Elle se promenait avec lui, en litiere ouverte, dans la campagne; d'autres fois, etendus sur le bord d'une chaloupe, ils regardaient les poissons vagabonder dans l'eau, claire comme le ciel. Souvent elle lui jetait des fleurs au visage; accroupie devant ses pieds, elle tirait des airs d'une mandoline a trois cordes; puis, lui posant sur l'epaule ses deux mains jointes, disait d'une voix timide:

«Qu'avez-vous donc, cher seigneur?»

Il ne repondait pas, ou eclatait en sanglots; enfin, un jour, il avoua son horrible pensee.

Elle la combattit, en raisonnant tres bien: son pere et sa mere, probablement, etaient morts; si jamais il les revoyait, par quel hasard, dans quel but, arriverait-il a cette abomination? Donc, sa crainte n'avait pas de cause, et il devait se remettre a chasser.

Julien souriait en l'ecoutant, mais ne se decidait pas a satisfaire son desir.

Un soir du mois d'aout qu'ils etaient dans leur chambre, elle venait de se coucher et il s'agenouillait pour sa priere quand il entendit le jappement d'un renard, puis des pas legers sous la fenetre; et il entrevit dans l'ombre comme des apparences d'animaux. La tentation etait trop forte. Il decrocha son carquois.

Elle parut surprise.

«C'est pour t'obeir! dit-il, au lever du soleil, je serai revenu.»

Cependant elle redoutait une aventure funeste.

Il la rassura, puis sortit, etonne de l'inconsequence de son humeur.

Peu de temps apres, un page vint annoncer que deux inconnus, a defaut du seigneur absent, reclamaient tout de suite la seigneuresse.