– Que d'annees il faudra pour qu'il soit remplace, dit un autre matelot. Et encore, il n'y aura peut-etre aucun autre arbre assez fort pour grandir, comme lui.
Ce fut l'oraison funebre prononcee sur la fin du vieux chene, qui etait etendu sur la nappe de neige qui lui servait de linceul; elle etait toute a son honneur et bien meritee, ce qui est si rare.
A bord du navire, les marins entonnerent les psaumes et les cantiques de Noel, qui celebrent la delivrance des hommes par le Fils de Dieu, qui leur a ouvert la voie de la vie eternelle: «La promesse est accomplie, chantaient-ils. Le Sauveur est ne. Oh! joie sans pareille! Alleluia! Alleluia!»
Et ils sentaient leurs coeurs eleves vers le ciel et transportes, tout comme le vieux chene, dans son dernier reve, s'etait senti entraine vers la lumiere eternelle.
L'escargot et le rosier
Le jardin etait entoure d'une haie de noisetiers et au-dehors s'etendaient des champs et des pres. Au milieu du jardin fleurissait un rosier, et sous le rosier vivait un escargot. Et qu'y avait-il dans l'escargot? Eh bien, lui-meme.
– Attendez un peu que mon temps arrive! disait-il. Je ferai des choses bien plus grandioses que de fleurir, porter des noisettes ou donner du lait comme des vaches et des moutons.
– A vrai dire, j'attends de vous de grandes choses, approuva le rosier. Mais puis-je vous demander quand les ferez-vous?
– Je prends mon temps, repondit l'escargot. Vous etes toujours si presse. Attendre est plus excitant. Un an plus tard, l'escargot etait presque au meme endroit sous le rosier et se rechauffait au soleil. Le rosier eut beaucoup de boutons cette annee-la, qui devinrent des fleurs toujours fraiches et toujours nouvelles. L'escargot s'avanca.
– Tout est exactement comme l'annee derniere. Aucun progres nulle part. Le rosier a toujours ses roses, cela ne va pas plus loin. L'ete passa, l'automne aussi et le rosier avait toujours ses boutons et ses fleurs et il en eut jusqu'a la premiere neige. Le temps devient froid et pluvieux. Le rosier se pencha et l'escargot se cacha sous la terre. Puis, une nouvelle annee commenca et reapparurent et les petites roses et l'escargot.
– Vous etes deja vieux, Monsieur le rosier, dit-il, vous devrez bientot penser a deperir. Vous avez deja donne au monde tout ce que vous pouviez. Que cela ait servi a quelque chose est une autre question, je n'ai pas eu le temps d'y reflechir. Mais il est evident que vous n'avez rien fait du tout pour votre epanouissement personnel sans quoi vous auriez produit bien mieux que cela. Vous mourrez bientot et vous ne serez plus que branches nues.
– Vous m'effrayez, dit le rosier. Je n'y ai jamais reflechi.
– Evidemment, vous ne vous livrez jamais a la reflexion. N'avez-vous jamais essaye de comprendre pourquoi vous fleurissiez et comment seulement cela se produit? Pourquoi cela se passe ainsi et pas autrement?
– Non, repondit le rosier. Je fleurissais joyeusement, car je ne pouvais pas faire autrement. De la terre montait en moi une force, et une force me venait aussi d'en haut, je sentais un bonheur toujours neuf, toujours grand, et c'est pourquoi je devais toujours fleurir. C'etait ma vie, je ne pouvais pas faire autrement.
– Vous avez mene une vie bien facile, dit l'escargot.
– En effet, tout m'a ete donne, acquiesca le rosier, mais vous avez recu encore bien davantage! Vous etes de ces natures qui reflechissent et meditent et vous avez un grand talent qui, un jour, etonnera le monde.
– Ce n'est absolument pas dans mes intentions, repondit l'escargot. Le monde ne m'interesse pas. En quoi me concerne-t-il? Je me suffis amplement.
– Mais nous tous, ne devrions-nous pas donner aux autres le meilleur de nous-memes? Apporter ce que nous pouvons? Je sais, je ne donne que mes roses, mais vous? Que donnez-vous au monde?
– Ce que j'ai donne? Ce que je lui donne? Je crache sur le monde! Il ne sert a rien! Je me fiche de lui! Vous, continuez a faire eclore vos roses, de toute facon vous ne savez pas mieux faire. Que le noisetier donne ses noisettes, les vaches et les brebis leur lait, ils ont tous leur public. Moi, je n'ai besoin que de moi. Et l'escargot rentra dans sa coquille et la referma sur lui.
– C'est bien triste, regretta le rosier. Moi, j'ai beau faire, je ne peux pas rentrer en moi, il faut toujours que je forme des boutons et que je les fasse eclore. Les petales tombent et le vent les emporte. J'ai vu pourtant une femme deposer une petite rose dans son missel, une autre de mes roses a trouve sa place sur la poitrine d'une belle jeune fille et une autre recut des baisers d'un enfant heureux. Cela m'a fait bien plaisir, un vrai bonheur. Voila mes souvenirs, ma vie! Et le rosier continua a fleurir dans l'innocence et l'escargot a somnoler dans sa petite maison, car le monde ne le concernait pas. Des annees et des decennies passerent. L'escargot et le rosier devinrent poussiere dans la poussiere. Meme la petite rose dans le missel se decomposa… mais dans le jardin fleurirent de nouveaux rosiers et a leurs pieds grandirent de nouveaux escargots; ils se recroquevillaient toujours dans leurs maisons et ils crachaient… le monde ne les concernait pas. Allons-nous relire cette histoire une nouvelle fois?… Elle ne sera pas differente.
La fee du sureau
Il y avait une fois un petit garcon enrhume; il avait eu les pieds mouilles. Ou ca? Nul n'aurait su le dire, le temps etant tout a fait au sec.
Sa mere le deshabilla, le mit au lit et apporta la bouilloire pour lui faire une bonne tasse de tisane de sureau cela rechauffe! Au meme instant, la porte s'ouvrit et le vieux monsieur si amusant qui habitait tout en haut de la maison entra. Il vivait tout seul n'ayant ni femme ni enfants, mais il adorait tous les enfants et savait raconter tant de contes et d'histoires pour leur faire plaisir.
– Bois ta tisane, dit la mere, et peut-etre monsieur te dira-t-il un conte.
– Si seulement j'en connaissais un nouveau, dit le vieux monsieur en souriant doucement. Mais ou donc le petit s'est-il mouille les pieds?
– Ah! ca, dit la mere, je me le demande…
– Est-ce que vous me direz un conte? demande le petit garcon.
– Bien sur, mais il faut d'abord que je sache exactement la profondeur de l'eau du caniveau de la petite rue que tu prends pour aller a l'ecole.
– L'eau monte juste a la moitie des tiges de mes bottes, si je passe a l'endroit le plus profond.
– Eh bien voila ou nous avons eu les pieds mouilles, dit le vieux monsieur. Je te dois un conte et je n'en sais plus.
– Vous pouvez en inventer un immediatement. Maman dit que tout ce que vous regardez, vous pouvez en faire un conte et que de tout ce que vous touchez peut sortir une histoire.
– Mais ces contes et des histoires ne valent rien. Les vrais doivent naitre tout seuls et me frapper le front en disant: Me voila!
– Est-ce que ca va frapper bientot? demanda le petit garcon.
La maman se mit a rire, elle jeta quelques feuilles de sureau dans la theiere et versa l'eau bouillante dessus.
– Racontez! racontez!
– Avec plaisir, si un conte venait tout seul, mais il est souvent capricieux et n'arrive que lorsque ca lui chante. Stop! s'ecria-t-il tout d'un coup, en voila un! Attention, il est la sur la theiere!
Le petit garcon tourna les yeux vers la theiere. Le couvercle se soulevait de plus en plus et des fleurs en jaillissaient, si fraiches et si blanches; de longues feuilles vertes sortaient meme par le bec, cela devenait un ravissant buisson de sureau, tout un arbre bientot qui envahissait le lit, en repoussant les rideaux. Que de fleurs, quel parfum! et au milieu de l'arbre une charmante vieille dame etait assise. Elle portait une drole de robe toute verte parsemee de grandes fleurs blanches; on ne voyait pas tout de suite si cette robe etait faite d'une etoffe ou de verdure et de fleurs vivantes.