– Comme c'est beau ici, en ete, dit-elle, tandis qu'a toute allure ils passaient devant les vieux chateaux du moyen age, ou les murs rouges et les pignons creneles se refletaient dans les fosses ou les cygnes nageaient et levaient la tete vers les allees ombreuses et fraiches. Les bles ondulaient comme une mer dans la plaine, les fosses etaient pleins de fleurs rouges et jaunes et les haies de houblon sauvage et de liserons et le doux parfum des meules de foin flottait sur les pres. Le soir, la lune monta toute ronde dans le ciel. Cela ne s'oublie jamais.
– Comme c'est beau, ici, a l'automne, dit la petite, et le ciel devint deux fois plus eleve et plus intensement bleu, les plus ravissantes couleurs de rouge, de jaune et de vert envahirent la foret, les chiens de chasse galopaient a toute allure, des bandes d'oiseaux sauvages s'envolaient en criant au-dessus des tumulus ou les ronces s'accrochaient aux vieilles pierres, la mer etait bleu-noir avec des voiliers blancs et dans la grange les femmes, les jeunes filles, les enfants egrenaient le sureau dans un grand recipient. Les jeunes chantaient des romances, les vieux racontaient des histoires de lutins et de sorciers.
– Comme c'est beau, ici, l'hiver! dit la petite fille. Tous les arbres couverts de givre semblaient de corail blanc. La neige crissait sous les pieds comme si l'on avait des chaussures neuves, et les etoiles filantes tombaient du ciel l'une apres l'autre.
Dans la salle on allumait l'arbre de Noel. C'etait l'heure des cadeaux et de la bonne humeur; dans la campagne le violon chantait; chez les paysans les beignets de pommes sautaient dans la graisse et meme les plus pauvres enfants disaient: «Que c'est bon l'hiver!»
Oui, tout etait exquis quand la petite fille l'expliquait au garcon. Toujours le sureau embaumait, et toujours flottait le drapeau rouge a la croix blanche, sous lequel le vieux marin de Nyboder avait navigue. Le garcon devenait un jeune homme; il devait partir dans le vaste monde, loin, loin, vers les pays chauds ou pousse le cafe. Au moment de l'adieu, la petite fille prit sur sa poitrine une fleur de sureau et la lui tendit afin qu'il la garde entre les pages de son livre de psaumes, et, chaque fois que dans les pays etrangers il ouvrait son livre, c'etait juste a la place de la fleur du souvenir.
A mesure qu'il la regardait, elle devenait de plus en plus fraiche, il lui semblait sentir le parfum des forets danoises. Au milieu des petales de la fleur, il voyait la petite fille aux clairs yeux bleus et elle lui murmurait: «Qu'il fait bon au printemps, en ete, en automne, en hiver».
Des centaines d'images glissaient dans ses pensees.
Les annees passerent. Il devint un vieil homme assis avec sa femme sous un arbre en fleurs, la tenant par la main comme les aieux de Nyboder, et, comme eux, ils parlaient des jours anciens, des noces d'or. La petite fee aux yeux bleus avec des fleurs dans les cheveux, etait assise dans l'arbre et les saluait de la tete, en disant: «C'est le jour de vos noces d'or!» Elle prit deux fleurs de sa couronne posa deux baisers, alors elles brillerent d'abord comme de l'argent, puis comme de l'or, et, lorsqu'elle les posa sur la tete des vieilles gens, chaque fleur devint une couronne. Tous deux etaient assis la, comme roi et reine, sous l'arbre odorant qui avait bien l'air d'un sureau, et le mari raconta a sa vieille l'histoire de la fee du Sureau comme on la lui avait contee quand il etait un petit garcon et tous les deux trouverent qu'elle ressemblait a leur propre histoire, les passages les plus semblables etaient ceux qui leur plaisaient le plus.
– Oui, c'est ainsi, dit la fee dans l'arbre, les uns m'appellent fee, les autres dryade, mais mon vrai nom est «Souvenir». Je suis assise dans l'arbre qui pousse et qui repousse et je me souviens et je raconte! Fais-moi voir si tu as garde mon cadeau.
Le vieil homme ouvrit son livre de psaumes; la fleur de sureau etait la, fraiche comme si on venait de l'y deposer. Alors, «Souvenir» sourit, les deux vieux avec leur couronne d'or sur la tete, assis dans la lueur rouge du soleil couchant, fermerent les yeux et l'histoire est finie.
Le petit garcon, dans son lit, ne savait pas s'il avait dormi ou s'il avait entendu un conte. La theiere etait la, sur la table, mais aucun sureau n'en jaillissait, et le vieux monsieur qui avait raconte l'histoire, allait justement s'en aller.
– Comme c'etait joli, maman, dit le petit garcon. J'ai ete dans les pays chauds.-Oui, ca, je veux bien le croire, dit la mere, quand on a dans le corps deux tasses de tisane de sureau brulante, on doit bien se sentir dans les pays chauds.
Elle remonta bien les couvertures pour qu'il ne se refroidisse plus.
– Tu as surement dormi pendant que je me disputais avec le monsieur pour savoir si c'etait un conte ou une histoire!
– Ou est la fee du Sureau? demanda l'enfant.
– Elle est la, sur la theiere, dit la mere, eh bien, qu'elle y reste.
Les fleurs de la petite Ida
Les pauvres fleurs sont tout a fait mortes! dit la petite Ida, elles etaient si belles hier soir, et maintenant toutes les feuilles pendent! Pourquoi? demanda-t-elle a l'etudiant assis sur le sofa.
Elle l'aimait beaucoup, l'etudiant, il savait les plus delicieuses histoires et decoupait des images si amusantes: des coeurs avec des petites dames au milieu qui dansaient; des fleurs et de grands chateaux dont on pouvait ouvrir les portes, c'etait un etudiant plein d'entrain.
– Eh bien! sais-tu ce qu'elles ont? dit l'etudiant. Elles sont allees au bal cette nuit, c'est pourquoi elles sont fatiguees.
– Mais les fleurs ne savent pas danser! dit la petite Ida.
– Si, quand vient la nuit et que nous autres nous dormons, elles sautent joyeusement de tous les cotes. Elles font un bal presque tous les soirs.
– Est-ce que les enfants ne peuvent pas y aller?
– Si, dit l'etudiant. Les enfants de fleurs, les petites anthemis et les petits muguets.
– Ou dansent les plus jolies fleurs? demanda la petite Ida.
– N'es-tu pas allee souvent devant le grand chateau que le roi habite l'ete, ou il y a un parc delicieux tout plein de fleurs? Tu as vu les cygnes qui nagent vers toi quand tu leur donnes des miettes de pain, c'est la qu'il y a un vrai bal, je t'assure!
– J'ai ete dans le parc hier avec maman, dit Ida, mais toutes les feuilles etaient tombees des arbres et il n'y avait pas une seule fleur! Ou sont-elles donc? L'ete, j'en avais vu des quantites.
– Elles sont a l'interieur du chateau, dit l'etudiant. Des que le roi et les gens de la cour s'installent a la ville, les fleurs montent du parc au chateau et elles sont d'une gaiete folle.
– Mais, demanda Ida, est-ce que personne ne punit les fleurs parce qu'elles dansent au chateau du roi?
– Personne ne s'en doute. Parfois, la nuit, le vieux gardien fait sa ronde. Il a un grand trousseau de cles. Des que les fleurs entendent leur cliquetis, elles restent tout a fait tranquilles, cachees derriere les grands rideaux et elles passent un peu la tete seulement. "Je sens qu'il y a des fleurs ici," dit le vieux gardien, mais il ne peut les voir.
– Que c'est amusant! dit la petite Ida en battant des mains, est-ce que je ne pourrai pas non plus les voir?
– Si, souviens-toi lorsque tu iras la-bas de jeter un coup d'oeil a travers la fenetre, tu les verras bien. Je l'ai fait aujourd'hui, il y avait une grande jonquille jaune etendue sur le divan, elle croyait etre une dame d'honneur!
– Est-ce que les fleurs du jardin botanique peuvent aussi aller la-bas?
– Oui, bien sur, car si elles veulent, elles peuvent voler. N'as-tu pas vu les beaux papillons rouges, jaunes et blancs, ils ont presque l'air de fleurs, ils l'ont ete du reste. Ils se sont arraches de leur tige et ont saute tres haut en l'air en battant de leurs feuilles comme si c'etaient des ailes et ils se sont envoles. Et comme ils se conduisaient fort bien, ils ont obtenu le droit de voler aussi dans la journee, de ne pas rentrer chez eux pour s'asseoir immobiles sur leur tige. Les petales, a la fin, sont devenus de vraies ailes.