Les morsures de la faim se calmant, il releva alors la tete pour remercier sa bienfaitrice mais il l’avait a peine devisagee qu’il poussa un long «Oooh!» de stupefaction et en resta meduse, les yeux ecarquilles, la fourchette en l’air et la bouche pleine de choux-fleurs.
– Qu’est-ce qui me vaut tant d’etonnement? – interrogea la jeune femme en riant.
– Vous etes… – balbutia Pinocchio – Vous etes… Mais vous etes… Comme vous lui ressemblez… Je me rappelle bien… Oui, oui: les memes yeux, les memes cheveux, oui, oui, des cheveux bleu-nuit comme les siens! O ma chere petite Fee! Ma Fee a moi! Dites-moi que c’est vous, que c’est vraiment vous! Ne me faites plus pleurer! Si vous saviez comme j’ai pleure! J’ai tant pleure!…
En disant cela et tout en pleurant a chaudes larmes, Pinocchio se jeta a terre et enserra de ses bras les genoux de la mysterieuse jeune femme.
Chapitre 25
Au debut, la gentille jeune femme avait bien commence par pretendre qu’elle n’etait pas la petite Fee aux cheveux bleu-nuit mais, se sachant decouverte et ne voulant pas rendre cette comedie interminable, elle finit par l’admettre:
– Sacree marionnette! Et comment as-tu fait pour me reconnaitre?
– Tout simplement parce que je vous aime enormement.
– Tu te rends compte? Tu m’as quittee alors que je n’etais encore qu’une fillette et maintenant je suis une femme qui pourrait etre ta mere.
– Cela me plait bien. Car, au lieu de «petite s?ur», je vous appellerai «maman». Il y a si longtemps que je meurs d’envie d’avoir une maman comme les autres enfants! Comment avez-vous fait pour grandir si vite?
– C’est un secret.
– Confiez-le-moi! Moi aussi, je voudrais grandir un peu. Je suis reste haut comme trois pommes.
– Toi, tu ne peux pas grandir.
– Et pourquoi donc?
– Parce que les marionnettes ne grandissent jamais. Marionnettes elles naissent, marionnettes elles vivent et marionnettes elles meurent.
– Oui, mais moi j’en ai assez d’etre une marionnette – s’exclama Pinocchio en se frappant la tete – Il serait temps que je devienne un humain.
– Tu le deviendras… Mais il faut le meriter.
– Vraiment? Alors, qu’est-ce que je dois faire pour le devenir?
– C’est tres facile: il suffit que tu consentes a etre un bon petit garcon.
– Ce que, peut-etre, je ne suis pas…
– Effectivement! Un gentil garcon est obeissant et toi, au contraire…
– Et moi, je n’obeis jamais.
– Un gentil garcon aime etudier et travailler. Toi, au contraire…
– Et moi, au contraire, je flane et vagabonde a longueur de temps.
– Un gentil garcon dit toujours la verite…
– Et moi toujours des mensonges.
– Un gentil garcon ne rechigne pas a aller a l’ecole…
– Moi l’ecole me rend malade. Mais maintenant, je veux changer.
– Tu me le promets?
– Je le jure. Je veux devenir un enfant bien eleve et etre la fierte de mon papa… Au fait, ou est-il mon pauvre papa a present?
– Je ne sais pas.
– Aurai-je le bonheur de le revoir et de lui faire des gros baisers?
– Je crois que oui. J’en suis meme sure.
La reponse de la Fee rendit Pinocchio si content que, transporte, il lui prit les mains et les embrassa avec fougue. Puis, levant vers elle des yeux pleins d’amour, il lui demanda:
– Ainsi, ma petite maman, tu n’es pas morte?
– Apparemment non – repondit la Fee en souriant.
– Si tu savais combien j’ai eu la gorge serree et quelle douleur j’ai ressentie quand j’ai lu cet affreux «ci-git»
– Je sais. C’est meme pour cela que je t’ai pardonne. Cela m’a fait comprendre que tu avais bon c?ur et quand les enfants ont du c?ur, on peut toujours esperer d’eux qu’ils retrouveront le droit chemin, meme s’ils sont des polissons et qu’ils ont pris de mauvaises habitudes. Voila pourquoi je suis venue jusqu’ici te chercher. Je serai ta maman…
– Formidable! – hurla Pinocchio en sautant de joie.
– Mais tu devras m’obeir et faire tout ce que je te dis.
– Bien sur, bien sur, bien sur!
– Bon. Alors, des demain, tu vas a l’ecole.
Brusquement, Pinocchio se sentit un peu moins joyeux.
– Puis tu choisiras le metier que tu as envie de faire.
Le visage de Pinocchio se ferma un peu plus.
– Qu’est-ce que tu ronchonnes entre tes dents? – demanda la Fee qui commencait a s’impatienter.
– Eh bien… – repondit la marionnette d’une voix geignarde – Pour l’ecole, ce n’est pas un peu tard?
– Non monsieur! Pour s’instruire, il n’est jamais trop tard.
– Mais moi, un metier, cela ne m’interesse pas…
– Pourquoi donc?
– Travailler me fatigue.
– Ecoute-moi, mon garcon. Tous ceux qui parlent de cette facon finissent presque toujours en prison ou a l’hospice. Sache que l’homme, sur cette terre, qu’il soit riche ou pauvre, doit toujours s’occuper a faire quelque chose, qu’il doit travailler. Prends garde a ne pas tomber dans l’oisivete! L’oisivete est une maladie terrible qu’il faut guerir tres vite, des que l’on est enfant. Sinon, apres, c’est trop tard: elle devient une maladie incurable.
Touche par ces paroles, Pinocchio releva vivement la tete et declara:
– J’etudierai, je travaillerai, je ferai tout ce que tu voudras car la vie de marionnette ne me convient plus. Je veux devenir coute que coute un enfant comme les autres. Tu me l’as promis, n’est-ce pas?
– Je te l’ai promis. Dorenavant, cela depend de toi.