Pendant que Pinocchio debitait tous ces mensonges d’un air innocent, il se toucha le nez et s’apercut que celui-ci s’etait allonge d’au moins une main. Effraye, il se ravisa:
– Non, non, ne m’ecoutez pas, monsieur! Je connais fort bien Pinocchio et je peux vous assurer que c’est vraiment un sale gamin desobeissant et paresseux, qu’au lieu d’aller a l’ecole, il va faire les quatre cents coups avec ses copains.
Le nez retrouva sa taille normale
– Pourquoi es-tu tout blanc? – demanda le vieil homme.
– C’est a dire que… voila: sans m’en apercevoir, je me suis frotte a un mur qui venait d’etre peint – expliqua la marionnette qui avait honte d’avouer qu’il avait ete enduit de farine comme un poisson pour etre frit a la poele.
– Et qu’as-tu fait de ta veste, de ton pantalon et de ton bonnet?
– J’ai rencontre des voleurs qui m’ont tout pris. Au fait, vous n’auriez pas, par hasard, des vetements pour que je puisse rentrer chez moi?
– Mon garcon, pour tout vetement je n’aurais que ce petit sac dans lequel je mets du lupin. Si tu veux, prends-le.
Pinocchio ne se le fit pas dire deux fois. Il s’empara du sac a lupin qui etait vide, decoupa, avec une paire de ciseaux, un trou dans le fond et deux sur les cotes, puis il enfila le sac comme si c’etait une chemise. Ainsi sommairement vetu, il se dirigea vers le village.
Une fois sur le chemin, il ne se sentit pas tranquille. Il s’arretait, repartait, marmonnait pour lui seul:
– Comment vais-je m’y prendre quand je retrouverai ma bonne petite Fee? Et elle? Que va-t-elle dire? Est-ce qu’elle me pardonnera cette deuxieme betise? Je parie qu’elle me pardonnera! Enfin, ce n’est pas sur… D’ailleurs, ce serait normal: je suis un farceur qui promet toujours de s’amender et qui, jamais, ne tient parole!
Il faisait deja nuit quand il arriva au village. De plus, le temps etait epouvantable. Il tombait des cordes. Il alla tout droit a la maison de la Fee, resolu a frapper a la porte et a se faire ouvrir.
Mais arrive a pied d’?uvre, le courage lui manqua. Au lieu de frapper, il fit demi-tour en courant. Puis il revint, mais n’osa rien faire. La troisieme fois, pareil. La quatrieme fut la bonne: tout en tremblant, il se saisit du heurtoir et frappa un tout petit coup.
Il attendit, attendit… Une bonne demi-heure passa avant que ne s’ouvrit une fenetre au dernier etage de la maison, qui en comptait quatre. Une grosse Limace, qui tenait un lumignon, se pencha:
– Qui donc frappe a cette heure-ci?
– La Fee est la? – demanda Pinocchio.
– La Fee dort et ne veut pas qu’on la reveille. Mais toi, qui es-tu?
– Ben, c’est moi!
– Qui moi?
– Pinocchio.
– Pinocchio? C’est qui?
– Pinocchio la marionnette! Je vis ici, avec la Fee.
– D’accord, j’y suis maintenant. Attends-moi! J’arrive tout de suite…
– Depeche-toi, par pitie, je meurs de froid – supplia Pinocchio.
– Mon garcon, je fais ce que je peux. Je suis une Limace et les Limaces ne vont pas vite.
Une heure s’ecoula, puis deux, et la porte ne s’ouvrait toujours par. Inquiet, transi de froid avec la pluie qui s’abattait sur lui, Pinocchio prit son courage a deux mains et frappa a la porte, un peu plus fort que la premiere fois. La Limace apparut a la fenetre du troisieme etage.
– Chere Limace, – implora Pinocchio – cela fait deux heures que j’attends. Et deux heures, avec ce temps de chien, c’est plus long que deux annees. Viens m’ouvrir, s’il te plait.
– Mon garcon – lui retorqua de sa fenetre cet animal flegmatique et serein – mon garcon, je suis une Limace et les Limaces ne vont pas vite.
Puis la fenetre se referma.
Bientot minuit sonna. Une heure passa encore, puis deux. Pinocchio attendait toujours a la porte.
Perdant patience, celui-ci se saisit rageusement du heurtoir pour frapper fort afin de se faire entendre dans toute la maison. Mais le marteau en fer se transforma en anguille qui lui glissa des mains et disparut dans la rigole de la rue.
– Ah! C’est ainsi? – hurla Pinocchio de plus en plus en colere – Dans ce cas, je vais me servir de mes pieds.
Prenant son elan, il donna un grand coup dans la porte. Si fort que son pied penetra dans le bois et quand il voulut l’enlever, il n’y parvint pas: celui-ci etait coince et tenait aussi fermement qu’un rivet.
Vous vous rendez compte de la situation de la pauvre marionnette qui dut passer le reste de la nuit un pied en l’air?
Finalement, au petit matin, la porte s’ouvrit.
C’etait cette brave bete de Limace. Elle avait mis seulement neuf heures pour descendre du quatrieme etage. Autant dire qu’elle avait attrape une belle suee!
– Qu’est-ce que tu fais avec ce pied dans la porte? – demanda-t-elle a Pinocchio.
– C’est un accident. Regardez donc, jolie Limace, si vous ne pourriez pas mettre fin a mon supplice.
– Mon garcon, c’est un bucheron qu’il faudrait. Et moi, je ne suis pas un bucheron.
– Peut-etre pourriez-vous appeler la Fee?
– Elle dort et ne veut pas etre reveillee.
– Mais enfin! Qu’est-ce que vous voulez que je fasse de toute la journee cloue a cette porte?
– Amuse-toi a compter les fourmis qui passent dans la rue.
– Apportez-moi au moins quelque chose a manger. Je me sens a bout de force.
– Tout de suite – repondit la Limace.
Trois heures plus tard, Pinocchio la vit revenir avec un plateau d’argent sur la tete. Sur le plateau, il y avait du pain, un poulet roti et quatre abricots bien murs.
– Voici le repas que vous envoie la Fee.
La vue de ce festin consola la marionnette de tous ses malheurs.
Mais son desappointement n’en fut que plus grand quand il commenca a manger car le pain etait en platre, le poulet en carton et les abricots de l’albatre peint.
Il etait sur le point de s’effondrer en larmes, de s’abandonner au desespoir, d’envoyer valser plateau et nourriture factice mais – fut-ce parce que sa peine etait profonde ou parce que son estomac etait vide? – il ne fit que s’evanouir.
Quand il reprit connaissance, il etait etendu sur un divan, la Fee a ses cotes.
– Cette fois encore, je te pardonne – lui dit-elle – mais gare a toi si tu fais encore des tiennes!