Au matin du quatrieme jour, Catherine n'avait plus meme la force de lever le bras. Quand Fagot entra dans sa prison, elle resta couchee dans la paille, inerte, incapable d'un geste. Un vague sentiment de fatalite l'avait envahie.

Toutes ses reserves d'energie etaient usees. Des eclairs rouges passaient devant ses yeux quand elle fermait les paupieres et, quand elle les ouvrait, des papillons noirs dansaient sur sa vision des choses... Elle se rendit vaguement compte que Fagot s'agenouillait aupres d'elle... Quand il posa la main sur son ventre pour voir si elle reagirait, une sorte de desespoir glissa en elle, mais sans provoquer l'impossible reaction. Au contraire, peu a peu, le detachement venait. Plus rien n'avait d'interet... Bientot, elle serait morte.

Ce serait pour demain... ou pour le jour suivant, a moins que ce ne soit pour la nuit a venir... Qu'importait, apres tout, ce que le miserable ferait de son corps. Peu a peu, a force de souffrir, il s'engourdissait. Un seul point, douloureux avec acuite, demeurait sensible : son cou que le cercle de fer ecorchait et brulait... Mais, pour essayer d'oublier, de retomber dans la bienheureuse torpeur qui, de plus en plus souvent, s'emparait d'elle, Catherine ferma les yeux. Elle sentit vaguement que Fagot ouvrait sa robe, arrachant les lacets du corsage dans son impatience, qu'il dechirait sa chemise. Le froid glissa sur sa peau nue que parcouraient les mains brutales du gardien. Il grognait comme un porc, tout contre elle...

Catherine eut un vague geste de defense pour se proteger contre l'ultime profanation, mais elle avait l'impression de se mouvoir dans des masses de coton. Un poids intolerable l'ecrasa... mais, soudainement, il se passa quelque chose. Fagot se releva brusquement, abandonnant Catherine grelottante sur son grabat. Comme a travers une brume, elle vit Garin debout devant son tas de paille, un fouet a la main... C'etait le fouet qu'il avait fait claquer sur les epaules de Fagot pour l'arracher a la jeune femme.

Maintenant, il s'accroupissait aupres d'elle, posait la main sur son sein gauche. Les oreilles de Catherine bourdonnaient mais elle comprit parfaitement ce qu'il disait :

— Elle est aux trois quarts morte ? Que lui as-tu fait?

La reponse de l'idiot lui parvint aussi :

— Pas mange... Voulait pas etre gentille avec Fagot...

— Tu ne lui as pas donne a manger depuis quatre jours ? Triple imbecile

! Je t'ai dit de la dresser, d'en faire ce que tu voulais. Mais pas de la tuer !

Dans deux ou trois jours elle sera morte... Va me chercher de la soupe, et tout de suite...

Garin se penchait vers elle, recouvrait son corps amaigri en etendant dessus la chemise, puis la robe. Ses mains etaient douces et Catherine sentit un vague espoir lui revenir. Avait-il un peu de regret de ce qu'il avait fait ?

Elle se sentait encore capable de pardonner s'il l'arrachait a son enfer.

Quelques minutes plus tard, Fagot revenait, portant une ecuelle de bois ou fumait quelque chose. Garin souleva Catherine pour la faire boire.

— Doucement... Buvez d'abord un peu de bouillon.

Avec avidite, la malheureuse trempa ses levres seches dans le bouillon chaud. Une gorgee, deux gorgees... La vie, peu a peu, coulait en elle, reveillant les sensations de son corps douloureux. Quand il n'y eut plus une goutte de bouillon dans l'ecuelle, Catherine se sentit mieux et poussa un profond soupir. Elle ouvrait la bouche pour remercier Garin d'avoir eu pitie d'elle, mais, la voyant mieux, il ricana.

— Si vous pouviez vous voir ! Certes, aucun prince, que dis-je ? aucun homme ne ferait ses delices de vous. Vos cheveux sont ternes, sales, votre peau est grise... et vous etes prete a n'importe quoi pour manger... comme une bete affamee ! Ma parole, je regrette d'avoir empeche Fagot de vous prendre. Vous etes juste a point pour lui...

Avec la vie, la colere revint dans l'ame de Catherine. Elle n'ouvrit meme pas les yeux, se contenta de murmurer :

— Allez-vous-en ! Vous etes un miserable... Je vous hais !

— J'espere bien, s'ecria Garin avec cette bizarre voix de fausset qui lui venait si naturellement depuis quelque temps. Mon seul regret c'est que votre amant ne puisse vous voir dans l'etat ou vous etes ! Certes, il aurait du mal a vous reconnaitre. Ou est l'eblouissante dame de Brazey ? La fee au diamant noir ? Il n'y a ici qu'une genisse maigre a la panse pleine... Un bien doux spectacle pour moi ! Je pourrai dormir, maintenant, sans etre hante par votre eclat...

Il continua pendant un moment a l'insulter, mais Catherine ne l'ecoutait pas.

Qu'il s'en aille, qu'il la laisse mourir, c'etait tout ce qu'elle demandait. Elle gardait les yeux fermes, regrettant de ne pouvoir fermer aussi les oreilles.

Garin finit par se lasser... Au bout d'un moment, le silence se fit. La porte claqua, puis les verrous... Il n'y eut plus rien qu'un vague crepitement.

Catherine ouvrit les yeux. Elle etait seule... Garin et Fagot avaient disparu.

Dans la cheminee une brassee de bois brulait et aupres de la paillasse de la jeune femme une assiette avait ete posee contenant quelques legumes et un morceau de viande sur lesquels elle se jeta, oubliant tout orgueil, mue par l'unique instinct de conservation... Affamee, elle trouva encore le courage de s'obliger a ne pas manger trop vite, machant de son mieux chaque bouchee.

L'eau glaciale de son bol de terre habituel lui parut delicieuse sur ce mince repas. Sa faim n'etait pas encore apaisee, et de loin, mais elle se sentait moins faible, put se redresser, remettre sa chemise et sa robe et meme se trainer jusqu'a la cheminee ou elle s'etendit sur la pierre de l'atre. Les flammes penetraient chaque fibre de son corps d'une bienfaisante chaleur.

Helas, cela ne durerait guere car il n'y avait pas de grosses buches dans le tas de branchages qu'avait enflamme le gardien. N'importe ! La revigorante ardeur du feu s'insinuait dans les membres glaces et douloureux de la jeune femme. La cheminee etait un havre de salut, un coin de paradis... Pour achever.de se trouver moins mal, Catherine dechira le bas de sa chemise, enroula autour du collier de fer la bande de grosse toile. Le tissu rapait mais, du moins, ne blessait-il pas comme le cercle tout juste martele. Elle se recoucha avec un soupir de soulagement, replia son bras sous sa tete et s'appreta a dormir. Elle aurait bien aime profiter encore un peu de ce beau feu qui serait eteint quand elle s'eveillerait, mais elle se sentait lasse. Le sommeil fermait ses paupieres irresistiblement...

Elle les rouvrit presque aussitot. Une toux violente se faisait entendre au-dessus de sa tete. Quelque chose de lourd tomba dans les flammes, faisant jaillir une gerbe d'etincelles. Catherine se rejeta en arriere pour ne pas etre atteinte, ecrasant sa bouche prete a crier sous sa main. C'etait un homme qui venait de tomber dans le feu et se hatait d'en sortir en jurant abominablement.

Dans l'ombre de la tour qu'envahissait le crepuscule, Catherine vit une silhouette vigoureuse qui s'administrait des claques un peu partout pour eteindre les brindilles enflammees accrochees a ses vetements.

— C'etait le seul moyen, grogna le nouveau venu. Mais, tete-Dieu ! Quel sale chemin !

Croyant a un nouveau reve, ne de sa fievre, Catherine n'osait rien dire, mais la forme sombre revenait vers le feu, se penchait sur la jeune femme tapie contre l'un des piliers de l'atre. Elle reconnut aussitot, malgre la couche de suie, la figure goguenarde couronnee de cheveux noirs bien raides.

— Landry ! fit-elle faiblement. C'est bien toi ? Ou bien est-ce que je reve encore ?

— C'est bien moi, fit gaiement le jeune homme.

Mais j'en ai eu du mal a te retrouver ! L'espece de pique que tu as pour mari avait bien calcule son coup !

Malgre ces affirmations, Catherine ne pouvait croire a la realite de ce qu'elle voyait et entendait :