Vaincu, Arnaud baissa la tete. Tandis que le bourreau assistait Catherine pour passer sa robe et se mettre debout, celle-ci, malgre la souffrance qui courait encore le long de ses membres, se surprit a penser que l'intraitable capitaine devait aimer cherement le Batard pour s'etre soumis a lui si aisement. Mais la jeune femme etait trop faible pour pouvoir marcher. Sous les regards charges de rancune des echevins, deux soldats durent l'emporter jusqu'a sa cellule.

Dans les jours qui suivirent, on s'occupa si peu de Catherine qu'elle en vint parfois a se croire oubliee. Personne ne chercha plus a l'interroger, nul ne vint la voir. On se contenta de la laisser dans sa prison et elle en arriva bientot a considerer comme une benediction du ciel d'avoir un geolier comme le sien. Pitoul correspondait bien a son physique. Ce n'etait pas un mauvais homme, tout au contraire, et s'il faisait ce metier peu en rapport avec son caractere, c'etait uniquement parce qu'il avait repris la charge de son defunt beau-pere. Dans la vie, Pitoul avait trois passions : sa femme Alison, plantureuse commere forte en gueule qui le battait au moins une fois par semaine pour s'entretenir la main, la bonne chere et, singulierement, les andouillettes qui avaient fait la. gloire de maitre Godin, traiteur dont la boutique a l'enseigne de « L'Andouillette d'Or» s'etalait au plein de la rue des Hostelleries, enfin les potins de tous genres. Le siege ayant mis un terme aux succulences culinaires de maitre Godin, il ne restait a Pitoul que son Alison et les potins. Et si, sur les debuts, il avait regarde sa nouvelle pensionnaire avec quelque mefiance a cause de ses relations suspectes avec les Bourguignons, le fait que Monseigneur le Batard se fut personnellement interesse a Catherine avait beaucoup soulage Pitoul. Il n'avait plus vu d'inconvenients a venir bavarder de temps en temps avec elle. D'autant plus qu'elle etait la seule et unique prisonniere qu'il eut a garder pour le moment.

Par Pitoul, Catherine apprit le plus gros des nouvelles de l'exterieur. La fievre de l'espoir montait dans la cite ou l'on en etait reduit a consommer les chiens et les chats, ou le moindre bol de farine se vendait au poids de l'or. Il arrivait bien qu'a la faveur de la nuit un colporteur put passer avec un peu de ravitaillement, mais ce qu'il apportait etait une goutte d'eau dans une mer immense et c'etaient toujours les plus riches qui en profitaient. Les gens d'Orleans n'avaient plus qu'une pensee : durer, tenir envers et contre tout jusqu'a ce que la Pucelle miraculeuse parvint jusqu'a eux. Jour apres jour, a la maison de Ville, Jean de Dunois les haranguait pour les exhorter au courage, a la patience et chacun suivait avec anxiete la marche de Jehanne.

On sut qu'elle avait quitte Poitiers pour Chinon puis pour Tours ou le roi lui avait constitue une maison militaire et fait faire un etendard.

— On lui a donne un ecuyer, deux pages, deux herauts d'armes et un chapelain, disait Pitoul ebloui, tout comme pour un grand capitaine. Et maintenant elle marche sur Blois, la sainte fille que Dieu garde, sur Blois ou les capitaines la rejoindront !

Peu a peu, dans l'esprit ulcere de Catherine, se formait une image bizarre de l'etrange paysanne devenue chef de guerre. Parce qu'elle la detestait sans meme l'avoir vue, parce que son sort futur devait dependre de cette fille, elle imaginait une creature douee d'une ruse peu commune, d'un redoutable pouvoir de seduction qui lui permettait d'ensorceler les hommes a distance.

Et ceux qui la voyaient lui etaient aussitot soumis, meme des seigneurs de tres haut rang comme Jean de Dunois. Arnaud, bientot, tomberait dans le piege, comme les autres. Et Catherine, peu a peu, en venait a rendre la Pucelle responsable de ses propres malheurs, persuadee que, si Arnaud n'avait attendu, comme les autres, cette Jehanne, il ne l'eut pas traitee ellememe avec tant de cruaute. Il esperait une envoyee du ciel, une fille tellement au-dessus des autres femmes qu'elle avait balaye a jamais de son souvenir celle qu'il avait failli aimer. Bien plus, pour lui, Catherine etait une creature malefique, une fille du demon, un etre nuisible... Et la jeune femme ecoutait avec une tristesse melee de colere les rapports enthousiastes que lui faisait son geolier. Mais elle lui pardonnait parce que chaque jour il lui portait une cruche d'eau pour se laver et lui avait procure une vieille robe de sa femme.

Un mardi, au debut de la derniere semaine d'avril, Catherine vit entrer Pitoul dans sa prison, comme il le faisait chaque matin. Il portait une cruche d'eau et une ecuelle pleine d'un brouet clair fait de raves et de farine gatee mais il paraissait radieux.

— Ce n'est pas fameux ce que je vous porte la, fit-il en posant l'ecuelle sur l'escabeau, mais les soldats en ont encore moins que vous. Et puis, nous aurons bientot de quoi manger tout notre content.

— Pourquoi ? Les Anglais s'en vont ?

— Que nenni ! Mais il y a a Blois un convoi de vivres tout pret et la Pucelle en personne va nous l'amener...

Il se pencha vers Catherine et chuchota en confidence derriere l'ecran de sa main comme si les murs eussent pu l'entendre :

— Cette nuit, le Batard, Messire de Gaucourt et presque tous les capitaines sont partis au-devant de Jehanne. Demain peut-etre elle sera ici et nous serons sauves...

— Ils sont partis ? fit Catherine surprise. Qui donc garde la ville ?

— Nos echevins, pardi ! Et aussi quelques capitaines. Tous ne sont pas partis. Messire de Montsalvy est toujours la, par exemple...

Mais Catherine ne l'ecoutait plus. Depuis pres d'un mois qu'elle etait recluse en ce cachot, elle ne pensait plus qu'a une seule chose : se sauver, retrouver sa liberte a tout prix. Malheureusement, ce reve semblait aussi peu realisable que possible dans une ville si bien gardee. L'annonce du depart de la plupart des chefs militaires etait une fameuse information.

Jusqu'a leur retour, il serait peut-etre plus facile de fuir. Tandis que Pitoul continuait a discourir, elle le regardait avec un demi-sourire. Une idee lui venait...

Presque quotidiennement, il passait le soir quelques instants avec elle parce qu'elle savait l'ecouter et qu'il etait flatte d'avoir pour auditoire une grande dame prisonniere. A ces moments-la, le brave Pitoul ne se mefiait aucunement, si meme il s'etait jamais mefie de cette belle femme blonde, si triste et si douce. Et Catherine songeait qu'il serait aise d'assommer Pitoul avec son escabeau, de prendre ses vetements et de sortir a la faveur de la nuit. Encore fallait-il etre renseignee mieux qu'elle ne l'etait sur les us et les coutumes de la forteresse. Elle decida d'employer la causerie du soir et celle du lendemain a faire parler Pitoul. En meme temps, elle acheverait de murir son plan et le mettrait, sitot pret, a execution. L'important etait d'etre dehors avant que la Pucelle fut dans la ville. Pour rien au monde, Catherine ne voulait subir le jugement de cette fille...

Obtenir les renseignements souhaites fut un jeu d'enfant. Pitoul etait tellement heureux a l'idee de manger bientot a sa faim qu'il n'etait vraiment pas besoin de le pousser a parler. Il n'arretait pas. Catherine sut les heures exactes des rondes, les noms des portiers, les habitudes militaires et jusqu'au mot de passe. Elle decida que sa tentative de fuite aurait lieu le jeudi et, pour la premiere fois depuis qu'elle etait en prison, dormit d'un bon sommeil.

Toute la journee du jeudi, elle fut nerveuse, inquiete. Les echanges d'artillerie furent plus violents ce jour-la que les jours precedents. Les Anglais comme les gens d'Orleans savaient l'approche de celle que, de leur cote, ils nommaient la Sorciere. Et le vacarme mene par les bombardes et les couleuvrines fut infernal, incessant, mais Catherine s'en rejouissait. Ce tintamarre servirait ses desseins pour peu qu'il durat apres le coucher du soleil... Elle regarda baisser le jour avec des sentiments mitiges d'espoir, de crainte et d'impatience. L'heure approchait de la visite de Pitoul.