Il n'y avait rien a ajouter a cela ! Roussay capitula. Il connaissait trop la comtesse pour ne pas savoir qu'elle executerait point par point ses menaces.

Elle etait capable de traiter le duc comme un gamin desobeissant. En quittant Saint-Seine, le jeune capitaine pensait que, dans ce cas, il plaindrait sincerement Philippe s'il devait avoir affaire a sa terrible vassale. Pour son compte, il preferait se mesurer a une armee turque plutot qu'a Mme de Chateauvillain quand elle etait en colere...

Catherine et Ermengarde devaient quitter l'abbaye le lendemain. La jeune femme avait besoin d'une bonne nuit de repos et, de plus, la comtesse ne tenait pas a ce qu'elle rentrat a Dijon a la suite de son mari enchaine. Mais, au moment ou elles se preparaient a monter en litiere apres avoir salue et chaleureusement remercie Jean de Blaisy, Catherine eut la sur prise de voir Landry venir a elle. Depuis la fin du combat, elle n'avait que tres peu rencontre le jeune homme. Il l'avait embrassee affectueusement mais il avait coupe court a ses remerciements et s'etait retire tres vite dans la cellule que l'abbe avait mise a sa disposition. Catherine avait attribue a la fatigue du chemin et de la bataille son extreme paleur et ses traits tires. Mais quand il s'approcha d'elle, sa mine lui parut encore plus mauvaise.

— Je suis venu te dire adieu, Catherine, fit-il simplement.

— Adieu ? Mais pourquoi ? Je pensais que tu nous accompagnais a Dijon?

Il secoua la tete, detournant les yeux pour que Catherine n'y vit pas briller des larmes.

— Non. Je ne retournerai pas a Dijon. Je quitte le service.

Un silence suivit ces mots. Catherine ne parvenait pas a realiser ce que Landry voulait dire.

— Tu abandonnes la Grande Ecurie ? Quelle idee ! Es-tu mecontent ?

T'a-t-on fait tort ou bien es-tu las de servir Monseigneur Philippe ?

Landry secoua la tete. Malgre son empire sur lui- meme, deux grosses larmes rondes roulerent sur ses joues brunes. Catherine en fut bouleversee.

Jamais elle n'avait vu pleurer son ami d'enfance. Il promenait dans la vie une inalterable bonne humeur, une joie de vivre communicative. C'etait une force de la nature.

— Je ne veux pas que tu sois malheureux, s'ecria-t-elle chaleureusement.

Dis-moi ce que je peux faire, comment je peux t'aider, toi, qui m'as sauvee ?

T'avoir sauvee sera ma grande joie, fit Landry doucement. Mais tu ne peux rien pour moi, Catherine. Je vais rester ici, dans cette abbaye. J'ai deja demande a l'abbe de me recevoir parmi ses freres. Il a accepte. C'est un homme selon mon c?ur. Il me sera doux de lui obeir.

— Tu veux te faire moine ? Toi ?

La foudre tombant d'un ciel sans nuages n'aurait pas plonge Catherine dans une telle stupeur. Landry, le joyeux Landry sous la bure des benedictins ! Landry, tonsure, agenouille jour et nuit sur les dalles froides d'une chapelle, servant les pauvres et travaillant la terre, lui qui aimait tant le cabaret, les filles et la ripaille ! Lui qui se moquait de Loyse, jadis, quand elle parlait d'entrer au couvent !

— C'est drole, hein ? reprit le jeune homme avec un pale sourire devant le silence atterre de Catherine. Mais c'est la seule vie que je desire. Vois-tu...

j'aimais Paquerette et je crois qu'elle m'aimait vraiment, elle aussi. J'esperais bien, un jour, arriver a la sortir de ses betises, lui oter de la tete ses idees de sorcellerie, en faire une brave femme, une bonne menagere avec plein de gosses autour de nous, l'enlever a ce pays maudit. Elle etait bizarre mais je crois que nous nous comprenions. Alors, maintenant qu'elle n'est plus la...

Le geste las, desenchante, du jeune homme accabla Catherine sous le poids d'un ecrasant remords. Elle eut honte, tout d'un coup, d'etre vivante apres tant de douleurs. Sa vie a elle, cette vie sans utilite, valait-elle la peine de repandre tant de sang ? Elle baissa la tete.

— C'est ma faute ! dit-elle douloureusement. C'est a cause de moi qu'elle est morte. Oh, Landry, j'aurai fait ton malheur, a toi ?

— Non. Tu n'as aucun reproche a te faire. Paquerette a scelle elle-meme son destin. Si elle n'avait pas commis, par jalousie, ce crime impardonnable de prevenir Garin, rien ne serait arrive. Il etait juste qu'elle fut punie... Mais pas de cette maniere atroce ! Et maintenant qu'elle n'est plus la, moi, je n'ai plus

envie de rien, sinon de paix et de solitude. Toi, tu as encore un long et beau chemin devant toi...

Les larmes qui coulaient sur les joues de Catherine cesserent brusquement.

— Tu crois ? lanca-t-elle avec violence. Que penses-tu que j'aie encore a esperer ? Mon mari va mourir, je vais etre ruinee, a cause de moi tu vas t'enterrer au fond d'un cloitre. L'homme que j'aime me meprise. Je porte malheur, je suis maudite, maudite... Il faut se detourner de moi...

La crise de nerfs etait proche. Ermengarde s'en apercut, eloigna Landry d'un geste rapide et obligea Catherine secouee de frissons a monter dans la litiere.

— Allons, mon petit, ne vous tourmentez pas comme cela ! Ce garcon est sous le coup d'un chagrin. Mais il est jeune et les v?ux definitifs ne sont pas pour demain ; il peut changer d'avis, reprendre gout a l'existence. Faites confiance au cousin Jean pour cela : si ce garcon n'a pas une vraie vocation, il saura bien le lui faire comprendre plus tard.

Ces sages paroles produisirent un effet calmant sur Catherine. Ermengarde avait raison. Landry ne resterait peut-etre pas toute sa vie au couvent. Pour le moment, il y trouverait le meilleur repos, le grand silence ou les ames se retrouvent, decantent leur lie et leur fiel. Elle se laissa emmener sans autre resistance. Le grand portail de l'abbaye s'ouvrit devant la litiere qu'escortaient Sara, juchee sur un mulet prete par l'abbe, et quelques hommes joints par Jacques de Roussay a ceux qui appartenaient a Ermengarde. Bientot dans le soleil deja doux qui chauffait les tendres pousses de l'herbe nouvelle, le cortege des deux femmes escalada la route du plateau. Les toits de Saint-Seine brillerent encore un instant sous les fumees legeres de leurs cheminees puis tout disparut au tournant du chemin. Sur les echafaudages de la tour carree, a l'eglise du couvent, les macons avaient repris leur travail et sifflaient, deja oublieux de la menace qui avait pese un instant sur leurs foyers.

Le soir meme, on entra a Dijon par la porte Guillaume. Mais, en passant devant le chateau de la ville, Catherine detourna la tete, prise d'un tremblement. C'etait la que, la veille, Jacques de Roussay avait conduit son prisonnier. Garin etait quelque part derriere ces murailles rebarbatives percees de rares meurtrieres. Et Catherine ne pouvait s'empecher de songer avec un melange de tristesse et de colere que c'etait le mariage voulu par Philippe qui avait mene la le Grand Argentier de Bourgogne.

Or, Catherine se trompait. Ce n'etait pas dans le vieux bastion qui etait cense garder le mur d'enceinte que Jacques de Roussay avait conduit son captif mais bien a la prison du vicomte-mayeur dont les affreux cachots s'ouvraient dans les fondations d'une ancienne tour romaine, la Tournote, derriere la maison du Singe qui etait l'hotel de ville de Dijon. Cette maison du Singe, ainsi nommee a cause d'un bas- relief place au-dessus de la porte et representant un singe qui jouait avec une boule, s'adossait au rempart entre deux hotels seigneuriaux, dont l'un etait celui des La Tremoille, l'autre celui des Chateauvillain. Ainsi, sans le savoir, Catherine vint-elle habiter tout aupres de l'endroit ou etait emprisonne son mari.

Elle ne l'ignora pas longtemps. Des le lendemain de son arrivee chez Ermengarde, les herauts de la ville parcoururent les rues, annoncant le crime commis par Garin et son prochain jugement par le conseil du vicomte-mayeur, Philippe Machefoing, valet de chambre, conseiller et frere de lait du duc.

Cette criee emplit Catherine d'une joie amere a laquelle se joignit un sentiment de frustration. Elle haissait Garin de tout son c?ur, mais elle ne parvenait pas a comprendre quel enchainement de sentiments avait pu produire cette folie. Garin l'avait toujours si obstinement repoussee qu'elle ne pouvait croire a sa jalousie. Et pourtant ? Quel nom donner aux crises de rage folle qui s'etaient emparees de lui lorsqu'il l'avait sue enceinte ?