Paquerette, elle, regardait avec curiosite en pleine lumiere la rescapee du chateau. Landry lui avait dit qu'elle etait la femme du Grand Argentier, la maitresse du tout-puissant duc de Bourgogne mais, a contempler cette creature amaigrie, au teint terreux, aux cheveux ternes et emmeles, sale a faire peur, elle se prenait a en douter. Sara, d'ailleurs, la premiere emotion passee, contemplait la jeune femme avec desespoir. Ce visage ravage, ce cou saignant... comment reconnaitre l'eblouissante dame de Brazey ?
— Comme te voila faite ! gemit-elle. Dans quel etat, doux Jesus !
— Elle est surtout sale comme un peigne ! fit Landry goguenard. Si j'etais vous, je lui donnerais un peu de lait pour la remettre et puis je la recurerais consciencieusement.
— Je vais faire chauffer une marmite d'eau, approuva Paquerette en decrochant un chaudron pour aller le remplir au puits du jardin.
Tandis que Catherine buvait son lait a petits coups et que Sara preparait tout pour la nettoyer, on en vint aux explications. Landry raconta comment, le surlendemain de l'enlevement de Catherine, il avait rencontre Sara chez Jacquot-de-la-Mer ou parfois le chevaucheur ducal allait passer la soiree.
Elle y etait arrivee dans la journee, ayant laisse dans la foret de Pasques la tribu de Stanko, le gitan qu'elle avait suivi et pour qui elle avait abandonne Catherine.
-— Elle n'osait pas aller chez toi, ajouta le jeune homme.
— J'avais honte, fit Sara franchement, et regrets aussi ! J'avais besoin de te revoir et pourtant je craignais de rencontrer ton regard. Mais Dijon m'attirait irresistiblement. Alors, j'etais allee d'abord chez Jacquot, pour voir venir. Quand j'ai su que tu avais disparu, j'ai cru que je devenais folle... et aussi que Dieu me punissait d'avoir manque a mes devoirs. J'ai supplie Landry de me laisser l'aider a te chercher.
Nous avons fait le guet ensemble, conclut Landry, l'un relayant l'autre. Tu connais la suite. Dans la nuit, apres t'avoir quittee au chateau, je suis revenu a Dijon la chercher. Quant a Paquerette...
Il attirait la jeune fille a lui, entourant familierement sa taille de son bras, et posait sur son cou un baiser claquant.
— ... c'est aussi a la taverne de Jacquot que je l'ai connue, voici plus d'un an. Elle habitait Fontaine, avec sa mere, mais la vieille a ete prise et brulee comme sorciere. Paquerette a du se sauver. Elle s'est refugiee chez Jacquot.
Seulement, a Dijon, elle ne pouvait pas respirer. Il lui fallait les champs, la campagne. Jacquot avait justement un cousin qui venait de mourir ici ; il a donne sa cabane a Paquerette et voila ! Elle n'a rien a craindre a Malain, sauf si le duc decidait d'envoyer une troupe pour detruire tout le village, et encore.
— Pourquoi donc ? demanda Catherine. Est-ce que cette terre est lieu d'asile ? Domaine d'eglise, peut-etre ? Ne m'as-tu pas dit que le chateau appartenait a l'abbe de Saint-Seine ?
— Le chateau, oui, encore que le saint homme s'en desinteresse vertueusement, fit Landry en riant. Quant a etre un lieu d'asile, c'en est un, en effet, mais pas comme tu l'entends. Ce serait meme tout le contraire.
Malain est un village que l'on ne frequente guere parce que presque tous ses habitants sont sorciers. La chose est bien connue... Aussi, une de plus une de moins ! Paquerette y vit tranquille et ton epoux savait ce qu'il faisait en t'enfermant dans ce vieux chateau. Les bons paysans des alentours ne s'approchent pas volontiers de ce coin-la. Le chateau passe pour hante et le village est plus ou moins maudit...
Pendant ce temps, Sara avait rempli d'eau un grand baquet de bois qu'elle avait traine devant le feu.
Assez parle, maintenant, fit-elle en empoignant Landry par les epaules pour le mettre dehors. Va faire un tour ! Nous n'avons pas besoin d'un garcon pour baigner Catherine !
Avec, un soupir, Landry enfila la casaque de cuir qu'il avait recuperee, glissa une dague a sa ceinture et siffla le chien de Paquerette.
— C'est bon, je vais faire un tour dans le bois ! J'y rencontrerai peut-etre un gibier quelconque. La viande est rare, en hiver...
Lorsqu'il fut sorti, Sara aida Catherine a se lever, lui ota sa chemise plus qu'a moitie dechiree et l'aida a s'accroupir au fond du baquet. Au contact de l'eau tiede, la jeune femme poussa un profond soupir de volupte. Apres le repos dans un bon lit, la douceur de l'eau etait ce qu'elle desirait le plus.
Jamais elle ne s'etait sentie aussi sale, et, quand elle regardait sa peau ou ses cheveux, elle eprouvait a la fois de la honte et du degout. Certes, si elle avait du rester plusieurs mois dans cette abominable prison, elle en fut sortie irremediablement fletrie !... Elle se laissa aller dans l'eau et, tandis que Sara nettoyait avec precaution son cou blesse avant de l'enduire de baume, elle regarda, a travers la fenetre, Landry qui s'eloignait, le chien sur les talons.
Paquerette etait sortie avec lui pour l'accompagner et Catherine pouvait la voir s'appuyer tendrement sur l'epaule du jeune homme.
— Cette Paquerette, demanda-t-elle a Sara, tu crois que c'est la bonne amie de Landry ?
— Elle est sa maitresse et j'ai bien l'impression qu'elle est folle de lui.
Mais je ne saurais te dire ce que Landry en pense. L'aime-t-il ? C'est difficile a dire.
— Tu crois qu'elle est reellement sorciere ? Elle en a si peu l'air...
C'est une maladie qui se transmet de mere en fille, parait-il. Meme si elle ne l'est pas, personne ne voudrait le croire parce que c'est dans l'ordre des choses.
— Mais toi, tu le crois ?
Sara haussa les epaules et enduisit copieusement de savon un morceau de toile pour en frotter le corps de Catherine. Peu a peu, il retrouvait sa couleur normale, malgre les bleus et les ecchymoses qui le marbraient.
— Je ne sais pas ! Mais je le croirais volontiers. C'est une drole de fille, tu sais ! Je l'ai vue plusieurs fois chez Jacquot-de-la-Mer. Les hommes la craignaient a cause de son regard.
Se rappelant les yeux etranges de Paquerette, de couleurs differentes, l'un bleu et l'autre brun, Catherine songea qu'il y avait peut-etre un peu de quoi, mais, toute au plaisir de redevenir propre, elle oublia bientot son hotesse.
Sara la sortit de l'eau et l'assit devant le feu pour la secher. Puis elle reprit de l'eau pour lui laver la tete. Catherine se laissait faire comme un petit enfant.
C'etait delicieux de s'abandonner aux mains habiles de Sara, comme autrefois, quand elle n'etait qu'une gamine poussee trop vite. La crasse et la fatigue s'en allaient en meme temps. La jeune femme se sentait renaitre.
Lorsque Paquerette rentra, un peu plus tard, elle resta un instant au seuil de la porte, un fagot dans les bras, figee de surprise par le spectacle qu'elle decouvrait. Assise sur un escabeau aupres du feu qui rosissait sa peau, enveloppee d'une piece d'etoffe qui laissait a nu ses jambes fines et ses belles epaules, Catherine, les yeux mi-clos, avait l'air de sommeiller. Debout derriere elle, Sara peignait et repeignait une masse d'or encore humide qui etait sa chevelure, la plus belle, la plus longue que la jeune fille ait jamais vue. Etait-ce vraiment la triste epave de la nuit precedente, cette chose grise et maculee de sang qui s'etait transformee soudain en une ravissante creature.
— Soyez gentille de fermer la porte, fit Sara en se detournant a demi, il fait si froid...
Machinalement, Paquerette claqua le battant. Mais ses etranges yeux bicolores s'etaient curieusement retrecis et Sara surprit le regard dont elle enveloppait Catherine. La beaute soudain decouverte de la fugitive avait frappe Paquerette comme un soufflet et Sara sentit comme si elle l'eut touchee du bout du doigt l'envie se glisser dans l'ame de la sorciere ; elle se promit de ne pas trop lui faire confiance et de la surveiller sans en avoir l'air.
Landry rentra tard dans la soiree, couvert de sang et courbe sous le poids d'un jeune sanglier qu'il avait tue au couteau. Il etait ereinte et ravi. Mais, en decouvrant Catherine, redevenue fraiche et charmante dans une simple robe de laine bleue appartenant a Paquerette, sa joie eclata avec exuberance. Il la saisit par la taille a deux mains et l'enleva en l'air.