Une voix furieuse vint d'en bas. Celle du Begue de Perouges.
— Assez de patenotres ! Nous ne sommes pas au preche ! Vous ne voulez pas lacher la donzelle, nous attaquons...
Le cri d'horreur de Catherine en voyant une torche tomber dans un tas de paille qui s'enflamma aussitot fut couvert par un autre cri, de triomphe celui-la, pousse par Ermengarde.
— Regardez ! s'ecria-t-elle le bras tendu vers le haut de la cote ou serpentait la route de Dijon. Nous sommes sauves !
Son cri fit retourner tout le monde, meme les routiers. Devalant du rebord du plateau, une puissante troupe d'hommes d'armes se dirigeait vers Saint-Seine..Le soleil faisait briller les armures, les salades et les lances. En tete marchait un chevalier empanache de plumes blanches, dont Catherine, defaillante de joie, reconnut les couleurs au pennon de la lance.
— Jacques !... Jacques de Roussay !... Et la garde ducale avec lui !
— Ils y ont mis le temps, bougonna Ermengarde derriere son dos.
Heureusement, encore, que j'avais eu la bonne idee de lui faire tenir la lettre de l'abbe, a cet etourdi ! J'avais le pressentiment que quelque chose irait mal...
Des lors, delivres de leur angoisse, les occupants de la muraille purent suivre le deroulement des operations. Le Begue de Perouges etait brave, c'etait une justice a lui rendre. Il ne songea meme pas a tourner bride devant le secours, imposant cependant, qui arrivait a ses ennemis. Ses hommes firent volte-face, se rangerent en bataille. Catherine vit Garin faire comme eux, tirer son epee. Elle ne put se retenir de crier.
— Ne vous battez pas, Garin ! Si vous tirez l'epee contre les gardes de Monseigneur, vous etes perdu !
Elle ne comprenait pas elle-meme quelle obscure pitie la poussait a se preoccuper du destin de celui qui avait voulu la reduire a neant. D'ailleurs, cette pitie etait depensee en pure perte. Garin ne repondit que par un dedaigneux haussement d'epaules, piqua des deux en direction des arrivants, suivi de toute la troupe.
Le combat fut acharne, mais bref. La superiorite numerique de Roussay etait ecrasante. Malgre les prodiges de valeur des routiers, qui se battaient en hommes qui savent n'avoir a attendre ni pitie ni merci, ils tomberent l'un apres l'autre sous les coups des hommes d'armes ducaux. Les spectateurs de l'abbaye virent le duel farouche que se livrerent le Begue de Perouges et Jacques de Roussay, tandis que Garin se mesurait a un cavalier, arme comme les autres soldats, mais qui combattait tete nue. Catherine reconnut Landry...
En un quart d'heure tout fut regle. Roussay blessa son adversaire qui roula a terre et, sans perdre une minute, le fit pendre au premier arbre venu.
Quelques minutes plus tard, Garin, ecrase sous le nombre, se rendait...
Tandis que les soldats de la garde s'activaient a degager les portes des maisons, l'abbe ordonna d'ouvrir en grand le portail et descendit accueillir en personne le vainqueur. Catherine n'osa pas le suivre. Elle resta sur le chemin de ronde avec Ermengarde. Jacques de Roussay montait, seul, le casque sous le bras, vers l'abbaye. Plus loin, deux hommes d'armes faisaient remonter Garin sur son cheval apres lui avoir attache les mains derriere le dos... Le Grand Argentier se laissait faire passivement. Il paraissait se desinteresser de son sort et ne tourna meme pas la tete vers le monastere. Cette attitude dedaigneuse dechaina en Catherine une colere folle. Elle avait eu si peur, si mal, elle avait tant souffert et deux innocents avaient peri, mais cet homme ne paraissait pas se soucier du mal qu'il avait fait. Une haine violente monta de son c?ur, emplit sa bouche d'un gout amer et la fit trembler. Sans Ermengarde qui se tenait aupres d'elle, immobile et silencieuse, elle se fut precipitee vers le prisonnier pour lui crier sa fureur et son mepris. Elle eprouvait une joie feroce a la pensee qu'il s'etait condamne lui-meme, qu'il allait bientot perir de sa propre folie criminelle. Et, cette joie, elle aurait voulu la lui jeter au visage...
Le soir meme, Jacques de Roussay repartait pour Dijon, emmenant son prisonnier. Garin appartenait desormais a la justice du prevot de Bourgogne et devait etre incarcere sitot arrive sous l'inculpation de haute trahison, atteinte a la surete de l'Etat, sacrilege et tentative de meurtre sur la personne de sa propre epouse. Plus qu'il n'en fallait pour l'envoyer sans recours possible a l'echafaud ! Jacques de Roussay ne l'avait pas cache a Catherine au cours de la breve entrevue qu'il avait eue avec elle. En attaquant l'abbaye, Garin de Brazey avait considerablement aggrave son cas de plusieurs chefs d'accusation car, jusque-la, les ordres que Landry avait rapportes au capitaine de la garde portaient seulement d'assurer la securite de Catherine et d'enfermer Garin dans sa propre maison.
— Malheureusement, dit Jacques a Catherine, je ne peux vous autoriser a rentrer chez vous, Madame de Brazey. Votre mari devenant un prisonnier d'Etat, tous ses biens doivent etre mis sous scelles. Sans doute... pourrez-vous rentrer chez votre mere ?
Elle viendra chez moi, intervint Ermengarde. Croyez-vous que je la laisserai se rendre a la merci de toutes les commeres du quartier Notre-Dame ? On va etre trop content, chez certains, de la chute du Grand Argentier. Dans une maison bourgeoise, je ne suis pas sure que Catherine soit parfaitement garantie. Elle le sera chez moi !
Roussay n'avait rien a objecter. Il accorda a Catherine la permission de resider a l'hotel de Chateauvillain. L'attitude du jeune capitaine etait devenue etrangement distante envers la femme de Garin. En fait, il ne savait plus bien s'il avait affaire a l'epouse d'un criminel ou a l'amante de son maitre. Il s'en ouvrit secretement a Ermengarde.
— Je ne sais trop quel parti prendre, comtesse. Monseigneur Philippe m'a donne l'ordre d'assurer la surete de Madame de Brazey, d'empecher son epoux de lui nuire, mais il ignore tout des derniers evenements. Il est toujours a Paris et je me demande comment il prendra la nouvelle de l'attaque de cette abbaye, lui si pieux ! Il sera indigne et je crains que sa colere ne retombe sur la jeune femme, qu'il ne la rende responsable, complice meme...
— Ah ca, mon ami, mais vous revez tout debout ! Avez-vous oublie l'amour profond que Monseigneur porte a Catherine ? Ne savez-vous pas qu'elle regne sur son c?ur... et cela sans partage ?
Jacques de Roussay se gratta la tete sans ceremonie. Visiblement quelque chose le tourmentait. Il detournait les yeux, l'air gene.
— C'est que... je n'en suis plus si sur. On dit qu'a Paris, Monseigneur Philippe est fort empresse aupres de la belle comtesse de Salisbury. Vous le connaissez aussi bien que moi. Il est volage, il aime les femmes avec passion et j'ai peine a l'imaginer fidele a une seule. Dame Catherine est dans une mauvaise posture, d'autant plus que son etat ne l'embellit pas. Et je crains...
Et vous craignez pour votre avenir ! Vous avez peur de faire une bourde, acheva Ermengarde ironique. Vrai-Dieu, mon ami, vous n'avez pas beaucoup de courage pour un soldat ! J'en aurai donc pour vous. Je prends Catherine sous mon toit et sous ma responsabilite. Si le duc se fache, je saurai lui repondre. Faites ce que vous voudrez des biens de Brazey, mais vous me ferez le plaisir de conduire chez moi la chambriere de Catherine, son medecin maure flanque de ses esclaves... et d'y joindre tous les objets personnels de Madame de Brazey : toilettes et bijoux. J'ai dit ! Pour le reste, je m'en charge ! Il ferait beau voir qu'une Chateauvillain manquat a l'amitie.
Si Philippe, apres avoir fait le malheur de cette pauvre petite, s'avise de lui chercher d'autres noises, je vous donne ma parole qu'il trouvera a qui parler.
Chateauvillain est une rude forteresse sur laquelle plus d'un s'est casse des dents. Philippe y laissera les siennes avant de reprendre Catherine, dans ce cas... De plus, je me reserve alors le droit de lui dire ma facon de penser.