Roméo. – J'ai cru faire pour le mieux.
Mercutio. – Aide-moi jusqu'à une maison, Benvolio, ou je vais défaillir… Malédiction sur vos deux maisons! Elles ont fait de moi de la viande à vermine… Oh! j'ai reçu mon affaire, et bien à fond… Vos maisons! (Mercutio sort, soutenu par Benvolio.)
Roméo, seul. – Donc un bon gentilhomme, le proche parent du Prince, mon intime ami, a reçu le coup mortel pour moi, après l'outrage déshonorant fait à ma réputation par Tybalt, par Tybalt, qui depuis une heure est mon cousin!… Ô ma douce Juliette, ta beauté m'a efféminé; elle a amolli la trempe d'acier de ma valeur
Rentre Benvolio.
Benvolio. – Ô Roméo, Roméo! le brave Mercutio est mort. Ce galant esprit a aspiré la nuée, trop tôt dégoûté de cette terre.
Roméo. – Ce jour fera peser sur les jours à venir sa sombre fatalité: il commence le malheur, d'autres doivent l'achever.
Rentre Tybalt.
Benvolio. – Voici le furieux Tybalt qui revient.
Roméo. -Vivant! triomphant! et Mercutio tué! Remonte au ciel, circonspecte indulgence, et toi, furie à l'œil de flamme, sois mon guide maintenant! Ah! Tybalt, reprends pour toi ce nom d'infâme que tu m'as donné tout à l'heure: l'âme de Mercutio n'a fait que peu de chemin au-dessus de nos têtes, elle attend que la tienne vienne lui tenir compagnie. Il faut que toi ou moi, ou tous deux, nous allions le rejoindre.
Tybalt. – Misérable enfant, tu étais son camarade ici-bas: c'est toi qui partiras d'ici avec lui.
Roméo, mettant l'épée à la main. – Voici qui en décidera. (Ils se battent. Tybalt tombe.)
Benvolio. – Fuis, Roméo, va-t'en! Les citoyens sont sur pied, et Tybalt est tué… Ne reste pas là stupéfait. Le Prince va te condamner à mort, si tu es pris… Hors d'ici! va-t'en! fuis!
Roméo. – Oh! je suis le bouffon de la fortune!
Benvolio. – Qu'attends-tu donc? (Roméo s'enfuit.) Entre une foule de citoyens armés.
Premier Citoyen. – Par où s'est enfui celui qui a tué Mercutio? Tybalt, ce meurtrier par où s'est-il enfui?
Benvolio. – Ce Tybalt, le voici à terre!
Premier Citoyen. – Debout, monsieur, suivez-moi: je vous somme de m'obéir au nom du Prince.
Entrent le Prince et sa suite, Montague, Capulet, lady Montague, lady Capulet et d'autres.
Le Prince. – Où sont les vils provocateurs de cette rixe?
Benvolio. – Ô noble Prince, je puis te révéler toutes les circonstances douloureuses de cette fatale querelle. (Montrant le corps de Tybalt.) Voici l'homme qui a été tué par le jeune Roméo, après avoir tué ton parent, le jeune Mercutio.
Lady Capulet, se penchant sur le corps. – Tybalt, mon neveu!… Oh! l'enfant de mon frère! Oh! Prince!… Oh! mon neveu!… mon mari! C'est le sang de notre cher parent qui a coulé!… Prince, si tu es juste, verse le sang des Montagues pour venger notre sang… Oh! mon neveu! mon neveu!
Le Prince. – Benvolio, qui a commencé cette rixe?
Benvolio. – Tybalt, que vous voyez ici, tué de la main de Roméo. En vain Roméo lui parlait sagement, lui disait de réfléchir à la futilité de la querelle, et le mettait en garde contre votre auguste déplaisir… Tout cela, dit d'une voix affable, d'un air calme, avec l'humilité d'un suppliant agenouillé, n'a pu faire trêve à la fureur indomptable de Tybalt, qui, sourd aux paroles de paix, a brandi la pointe de son épée contre la poitrine de l'intrépide Mercutio. Mercutio, tout aussi exalté, oppose le fer au fer dans ce duel à outrance; avec un dédain martial, il écarte d'une main la froide mort et de l'autre la retourne contre Tybalt, dont la dextérité la lui renvoie; Roméo leur crie: Arrêtez, amis! amis, séparez-vous.! et, d'un geste plus rapide que sa parole, il abat les pointes fatales. Au moment où il s'élance entre eux, passe sous son bras même une botte perfide de Tybalt qui frappe mortellement le fougueux Mercutio. Tybalt s'enfuit alors, puis tout à coup revient sur Roméo, qui depuis un instant n'écoute plus que la vengeance. Leur lutte a été un éclair; car, avant que j'aie pu dégainer pour les séparer le fougueux Tybalt était tué. En le voyant tomber, Roméo s'est enfui. Que Benvolio meure si telle n'est pas la vérité!
Lady Capulet, désignant Benvolio. – Il est parent des Montagues; l'affection le fait mentir, il ne dit pas la vérité! Une vingtaine d'entre eux se sont ligués pour cette lutte criminelle, et il a fallu qu'ils fussent vingt pour tuer un seul homme! Je demande justice, fais-nous justice, Prince. Roméo a tué Tybalt; Roméo ne doit plus vivre.
Le Prince. – Roméo a tué Tybalt, mais Tybalt a tué Mercutio: qui maintenant me payera le prix d'un sang si cher?
Montague. – Ce ne doit pas être Roméo, Prince, il était l'ami de Mercutio. Sa faute n'a fait que terminer ce que la loi eût tranché, la vie de Tybalt.
Le Prince. – Et, pour cette offense, nous l'exilons sur-le-champ. Je suis moi-même victime de vos haines; mon sang coule pour vos brutales disputes; mais je vous imposerai une si rude amende que vous vous repentirez tous du malheur dont je souffre. Je serai sourd aux plaidoyers et aux excuses; ni larmes ni prières ne rachèteront les torts; elles sont donc inutiles. Que Roméo se hâte de partir; l'heure où on le trouverait ici serait pour lui la dernière. Qu'on emporte ce corps et qu'on défère à notre volonté: la clémence ne fait qu'assassiner en pardonnant à ceux qui tuent.
SCÈNE II
Juliette. – Retournez au galop, coursiers aux pieds de flamme, vers le logis de Phébus; déjà un cocher comme Phaéton vous aurait lancés dans l'ouest et aurait ramené la nuit nébuleuse… Étends ton épais rideau, nuit vouée à l'amour, que les yeux de la rumeur se ferment et que Roméo bondisse dans mes bras, ignoré, inaperçu! Pour accomplir leurs amoureux devoirs, les amants y voient assez à la seule lueur de leur beauté; et, si l'amour est aveugle, il s'accorde d'autant mieux avec la nuit… Viens, nuit solennelle, matrone au sobre vêtement noir apprends-moi à perdre, en la gagnant, cette partie qui aura pour enjeux deux virginités sans tache; cache le sang hagard qui se débat dans mes joues, avec ton noir chaperon, jusqu'à ce que le timide amour devenu plus hardi, ne voie plus que chasteté dans l'acte de l'amour! À moi, nuit! Viens, Roméo, viens: tu feras le jour de la nuit, quand tu arriveras sur les ailes de la nuit, plus éclatant que la neige nouvelle sur le dos du corbeau. Viens, gentille nuit; viens, chère nuit au front noir donne-moi mon Roméo, et, quand il sera mort, prends-le et coupe le en petites étoiles, et il rendra la face du ciel si splendide que tout l'univers sera amoureux de la nuit et refusera son culte à l'aveuglant soleil… Oh! j'ai acheté un domaine d'amour mais je n'en ai pas pris possession, et celui qui m'a acquise n'a pas encore joui de moi. Fastidieuse journée, lente comme la nuit l'est, à la veille d'une fête, pour l'impatiente enfant qui a une robe neuve et ne peut la mettre encore! Oh! voici ma nourrice…