— Si je dois vivre ici longtemps, confia un jour Catherine a Sara, je serai mure pour me faire nonne ou bien je me jetterai dans le premier etang venu.
Jamais je ne me suis autant ennuyee...
Pourtant, elle pouvait desormais figurer dignement au milieu de n'importe quelle Cour. Ermengarde de Chateauvillain lui avait fait tenir, sous forte escorte, ses coffres a robes, ses bijoux et une grosse somme d'argent, plus une longue lettre dans laquelle elle lui donnait les dernieres nouvelles de Bourgogne. Catherine apprit ainsi que sa mere et son oncle se portaient a merveille et que leurs terres de Marsannay prosperaient mais que le duc Philippe avait fait saisir le chateau de Chenove qu'il avait jadis donne a Catherine. Ermengarde avait recu de lui une lettre personnelle qui l'avait mise dans un grand embarras. Aux termes de sa missive, Philippe priait la comtesse de Chateauvillain de s'entremettre aupres de son amie Catherine de Brazey pour lui faire entendre raison et l'engager a regagner Bruges dans les plus courts delais.
— Le mieux serait qu'il me croie morte, fit Catherine, sincere, en repliant la lettre. Ainsi, Ermengarde n'aurait pas d'ennuis.
— Ce n'est pas mon avis, dit Sara qui s'occupait a ranger les toilettes. Tu ignores comment tournera ton destin. Tu ne sais pas si tu ne souhaiteras pas, un jour, revoir la Bourgogne. Ne coupe pas les ponts derriere toi, c'est une man?uvre dangereuse. Dame Ermengarde peut dire qu'elle est toujours sans nouvelles et ignore ce que tu es devenue. Tes parents, eux, ne savent rien et ne risquent pas de te trahir. Le silence, vois-tu, est encore la meilleure sauvegarde...
C'etait l'evidence meme. Catherine, non sans soupirer interieurement, s'installa dans la vie sans eclat qui devenait sienne, supportant comme elle pouvait les interminables seances de broderies aupres de la reine Marie.
Celle-ci etait capable de pencher, durant des heures, son long nez et son ingrat visage sur des tapisseries ou des broderies et, dans cet art, elle etait passee maitresse. Catherine se resignait, tirait l'aiguille tandis que son esprit s'en allait vagabonder a la suite de l'armee de Jehanne. Par les frequents messagers qu'envoyait le roi, elle apprit les victoires de Jargeau, Meung, Beaugency, Patay ou la Pucelle abattit deux mille Anglais en laissant seulement trois Francais sur le terrain. Puis le depart vers Reims a travers le dangereux pays de Champagne. On s'en allait vers le sacre et Catherine, naivement, avait espere que la reine rejoindrait son epoux, comme son rang lui en faisait le devoir. Helas, Madame Marie se contenta d'aller saluer son seigneur a Gien, laissant a Bourges la plus grande partie de sa suite dont Catherine, affreusement decue.
— L'enfant que je porte me rend trop dolente pour pareil voyage, confia-t-elle au cercle laborieux de ses dames. Nous nous contenterons de prier pour les armes de mon seigneur et pour son sacre.
— Pour une fois que nous avions une chance de voir un sacre, soupira la jeune Marguerite de Culant qui brodait, de concert avec Catherine, une banniere pour le roi Charles. Et pour une fois que nous aurions pu danser !
C'etait une jeune fille brune et vive, tres gaie et c'etait la seule des dames de la reine pour qui Catherine eut quelque sympathie. Elle et la jeune fille avaient fini par s'installer ensemble et tuaient le temps comme elles pouvaient en bavardant et en commentant les echos qui leur parvenaient des armees.
— Bah ! fit Catherine. Le roi reviendra pour la saison d'hiver et tout son entourage avec lui. Nous aurons, je pense, des fetes, des danses...
Marguerite la regarda avec une sincere stupeur, son mince visage tout arrondi entre ses deux nattes roulees sur les oreilles.
Seigneur, ma chere ! Qui vous a fait croire cela. Bien sur le roi va revenir, mais il ne restera guere a Bourges. C'est a Mehun qu'il tient sa Cour alors que la reine prefere Bourges ou ses enfants ont leurs commodites. Nous resterons ici, nous aussi et ne verrons rien des fetes de Mehun !
Catherine commencait a trouver qu'Arnaud, en l'envoyant aupres de la reine Marie, lui avait joue un vilain tour. Sans doute voulait-il avoir ses coudees franches et la jeune femme soupconnait maintenant que tant de sollicitude pour sa personne ne cachait, au fond, que son perpetuel desir d'etre debarrasse d'elle. Tandis que ses doigts habiles tissaient les fils d'or sur la soie bleue de l'etendard, tracant les sept lis de l'ecusson royal, elle laissait vagabonder son imagination et accumulait les pensees ameres. Apres tout, qui prouvait qu'Arnaud ne lui avait pas menti en jurant que la belle La Tremoille n'etait rien pour lui ? Lorsque Catherine l'avait rencontree, sortant de la maison de saint Crepin, la dame n'avait rien de quelqu'un qui vient de se faire econduire. Et le souci d'Arnaud de mettre Catherine a l'abri ne venait-il pas plutot du desir d'eloigner une rivale dangereuse qui deplaisait tant a cette femme ?
Ces idees finirent par la tourmenter tellement qu'elle ne resista pas au desir d'en parler, oh tres discretement, et sur le ton indifferent de la conversation de salon, a la jeune Marguerite de Culant.
— J'ai oui dire, a Loches, que messire de Montsalvy et la dame de La Tremoille etaient au mieux ensemble, fit-elle si negligemment que Marguerite ne soupconna rien.
La jeune fille se mit a rire.
— Eh bien, cela m'etonnerait ! Messire de Montsalvy ne peut pas souffrir les La Tremoille, ni lui ni elle ! D'ailleurs, c'est bien simple : mes parents n'auraient jamais songe a lui, pour en faire eventuellement mon epoux, s'il en etait autrement.
Catherine sentit le sang abandonner ses joues et refluer vers son c?ur.
Elle se hata de cacher ses mains sous la soie bleue pour que Marguerite ne les vit pas-trembler.
— Un mariage ? articula-t-elle avec un petit rire force. Mes compliments
! Et je suppose que vous etes tres eprise de votre fiance ? Il est fort beau et...
— Tout doux ! s'ecria Marguerite en pincant un brin de soie entre ses levres pour enfiler son aiguille. Rien n'est encore decide et c'est fort bien ainsi. Mes- sire Arnaud est tres beau, en effet, mais aussi tres brutal a ce que l'on dit et, de toute facon, je ne l'aime pas.
Le ton decide de la petite rendit un peu de vie a Catherine qui se sentait defaillir. Elle avait bien cru que sa vie s'arretait la. Mais si Marguerite n'aimait pas Arnaud...
— Lui vous aime peut-etre ?
— Lui ? Il n'aime personne, que lui-meme, et puis, dame Catherine, si vous voulez tout savoir : j'en aime un autre. Je vous le dis a vous parce que je vous aime bien et que vous etes mon amie. Mais c'est un secret. Vous me le garderez, n'est-ce pas ?
— Bien entendu ! Soyez tranquille !
Elle respirait mais elle avait eu vraiment tres peur et, si les Culant voulaient ce mariage, il risquait encore assez de se faire. Catherine sentit monter en elle un desir imperieux, irresistible de revoir Arnaud. Ne reviendrait-il jamais de ce maudit sacre ? Elle ne pouvait tout de meme pas courir les champs de bataille a sa recherche. Mais les semaines passerent sans ramener Arnaud.
Quand vint l'automne, Catherine revit Jehanne et faillit ne pas la reconnaitre tant elle etait triste et abattue. La guerriere victorieuse d'Orleans avait fait place a une enfant amaigrie et inquiete. Apres l'eclat sans pareil du sacre ou elle avait pleure de joie, apres la joie immense de voir tomber devant elle les villages comme giboulees en mars, la Pucelle avait du s'incliner devant les man?uvres tortueuses de La Tremoille, tout-puissant aupres du roi. Parce qu'un carreau d'arbalete l'avait blessee a l'epaule, devant la porte Saint-honore, on l'avait obligee a quitter Paris, a se rabattre sur la Loire « pour hivernage » et l'armee avait traine l'ange a sa suite comme une captive aux chaines d'or.
— Ils disent que je dois me reposer, confia-t-elle a Catherine avec une indicible amertume. Mais j'aurais voulu voir Paris de plus pres que je ne l'ai vu. Il fallait aller de l'avant, forcer la victoire. Dieu le voulait...