— Mais pas La Tremoille ! fit Catherine acerbe. Il vous deteste, Jehanne, et il vous jalouse. Pourquoi le roi ecoute-t-il ce poussah orgueilleux ?

— Je ne sais...

Catherine alors n'avait pu retenir la question qui lui brulait les levres.

Quand l'armee avait defile dans les rues de Bourges, elle avait vainement cherche a l'avant-garde le chevalier a l'epervier d'argent. Nulle part elle n'avait vu Arnaud.

— Messire de Montsalvy ? Il ne lui est rien arrive de facheux, n'est-ce pas ?

Le visage tire de Jehanne d'Arc s'etait eclaire d'un sourire.

— Il va bien. Je l'ai laisse a Compiegne que tient, pour le roi, le sire de Flavy. Flavy est un bon soldat mais il a le c?ur d'une bete sauvage. Messire Arnaud a ete charge par moi de le surveiller... discretement. Son c?ur, a lui, est loyal et fidele et j'ai toute confiance en lui...

Pareil compliment, venant de Jehanne, avait empli Catherine d'une joie instinctive, attenuant un peu la deception de n'avoir point vu revenir Arnaud. Et tandis que Jehanne trompait son impatience en coups de main contre Saint-Pierre-le-Moutier qu'elle enleva, et la Charite-sur-Loire ou le routier Perrinet Gressard la tint en echec, Catherine reprit sa vie d'oraisons et d'eternelles broderies.

Une seule fois, a la Noel, elle vit une vraie fete i et put contempler les splendeurs de Mehun-sur-Yevre ou le duc Jean avait entasse une fantastique collection de joyaux, tapisseries, livres rares, ?uvres d'art, intailles, peintures et sculptures. Le chateau lui- meme etait un joyau : un jaillissement de pierres , blanches et lisses issu des eaux vertes de l'Auron,

| des tours altieres couronnees de pierre ciselee, des 1 toits bleus timbres de girouettes dorees, une chapelle aerienne a force de sveltesse, une inoubliable vision de beaute. La, solennellement, le roi confera a Jehanne d'Arc et a ses parents des lettres de noblesse pour eux et leurs descendants, ainsi que des armoiries montrant sur champ d'azur une epee couronnee d'or et flanquee de deux lis. Mais ces hochets de vanite ne consolaient pas celle qui etait devenue ainsi Jehanne du Lis. Elle ne s'attarda pas dans les delices de Mehun et regagna Bourges ou elle logeait chez une femme de grande vertu, Marguerite La Touroulde. La reine Marie, dont Charles VII ne souhaitait guere la presence, en fit autant et revint en son palais.

Catherine, bien entendu, suivit avec Marguerite de Culant et les autres dames de parage. Pour une fois, elle etait heureuse de retrouver la vie morne qui l'irritait tant depuis son arrivee. Elle n'avait pas aime le regard enigmatique mais etrangement pesant que La Tremoille avait laisse peser sur elle pendant la ceremonie d'anoblissement. Et les yeux verts de sa femme n'etaient guere plus rassurants.

L'hiver passa. Revint le printemps avec ses freles verdures. Revint aussi le temps des armes et Jehanne, rongee d'inaction, n'y tint pas. Apprenant que Philippe de Bourgogne assiegeait Compiegne, elle partit, un matin, a l'aube, avec une poignee de compagnons...

Un soir de la fin mai, Catherine avait ete chargee par la reine Marie de surveiller le transport de ses pelisses de fourrure que, chaque fin de printemps, elle faisait porter chez son pelletier pour qu'il les fit nettoyer, verifier et mettre en etat pour l'hiver suivant. C'etait une femme fort econome que la reine Marie et elle prenait le plus grand soin de ses vetements. Catherine etait donc partie, a cheval, avec les deux chariots qui transportaient les fourrures royales, pour le court trajet separant le palais de la boutique du pelletier.

Maitre Jacques C?ur avait sa demeure et son magasin au coin de la rue des Armuriers et de la rue d'Auron, juste en face de la maison du prevot de Bourges, Leodepart, dont il avait epouse la fille Macee. Catherine etait venue plus d'une fois chez les C?ur ou l'avait conduite Marguerite de Culant. Ils etaient jeunes, aimables et toujours prets a rendre service. Et puis leur maison, egayee par une nichee de cinq enfants, etait l'une des plus vivantes de Bourges. Catherine aimait y venir et prenait plaisir soit a jouer avec les petits, soit a bavarder avec la douce Macee, soit a admirer les peaux de betes rares et precieuses que Jacques se procurait a grand-peine, a cause de la durete des temps et des dangers des chemins.

Elle escomptait, ce soir-la, sa mission remplie, passer la soiree avec ses amis qui, certainement, la garderaient a souper comme ils ne manquaient jamais de le faire. Et Catherine se laissait bercer au pas de son cheval dans les derniers poudroiements d'or du soleil. Il ferait bon, ce soir, souper a l'ombre du gros tilleul dans le jardin des C?ur ou les roses et le chevrefeuille embaumaient jusque dans la rue. L'evocation de ce parfum amena a ses levres une chanson melancolique, un vieux lai de Marie de France :

Il en etait de leurs deux c?urs tout ainsi que du chevrefeuille Qui au coudrier se prenait...

Ou battait, a cette heure, le c?ur d'Arnaud ? Les murs de Compiegne le protegeaient-ils toujours ou bien Jehanne avait-elle reussi a degager la ville et a rouvrir devant ses soldats la route de Picardie ? La ou etait la Pucelle, rien de mauvais ne pouvait advenir a l'un de ses hommes. Elle portait avec elle la chance, la protection divine. Il suffisait de plonger au plein de l'eau tranquille de ses prunelles pour se sentir baigne de confiance et de force...

Perdue dans ses pensees, Catherine ne pretait pas ; attention au mouvement de la rue. Elle n'entendit pas se rapprocher le galop d'un cheval et ne descendit de ses songes que lorsque le cheval en question l'eut rattrapee, depassee et, voltant sur ses pattes posterieures, lui eut barre le chemin. Un homme en armure souillee de sang seche, si couvert de poussiere que visage et acier avaient la meme grisaille, le montait. Seuls les cheveux presque rouges avaient encore un peu de couleur et Catherine reconnut Xaintrailles. Elle eut une exclamation de surprise, sourit et tendait deja les mains vers le capitaine mais lui, sans prendre la peine de saluer, jeta :

— Je viens du palais ou l'on m'a dit que vous etiez en route pour la maison de Jacques C?ur. Je vous cherchais, dame Catherine.

Son large visage, si gai habituellement, etait tire, verdatre sous les plaques de poussiere melee de sueur qui le maculaient. Instinctivement, Catherine pressentit un malheur.

— Que se passe-t-il, messire ? Quel message que je devine terrible m'apportez-vous ? Dites vite... Arnaud ?

— Il est blesse... gravement et vous reclame ! Et puis... Jehanne est prisonniere du Bourguignon ! Je dois vous ramener...

Voyant que Catherine s'etait arretee, les valets qui menaient les chariots en avaient fait autant. Mais la jeune femme, petrifiee, les avait oublies. On aurait dit que la foudre venait de la frapper. Elle restait la, immobile, tres droite et le regard vide, sur son cheval qui grattait le sol d'un sabot impatient.

L'un des serviteurs s'approcha timidement, tira le bas de sa robe.

— Dame... Que faisons-nous ?

Elle regarda l'homme comme si elle le voyait pour la premiere fois, avec une espece de surprise. Un frisson la traversa des pieds a la tete et elle parut reprendre conscience. Sa main eut un geste incertain.

— Allez sans moi ! Dites... a maitre C?ur que je ne puis venir... qu'il fasse le necessaire et saluez-le pour moi. Il me faut rentrer a l'instant...

Puis, comme le valet s'inclinait et s'eloignait, elle tourna vers Xaintrailles, muet, son visage douloureux.

— Dites-moi la verite ! Il est mort, n'est-ce pas ?

— Non... puisqu'il vous demande. Mais si vous ne vous hatez pas, il se peut que vous ne le retrouviez pas vivant...

Sous la douleur, Catherine ferma les yeux. Un flot de larmes s'en echappa, roulant sur ses joues tandis qu'un sanglot dechirait sa gorge. Ainsi, le destin avait frappe. Arnaud etait mourant ! Comment pareille chose pouvait-elle etre possible ? Est-ce qu'il n'y avait pas la quelque chose d'absurde et d'inimaginable ? Arnaud etait aussi indestructible que la terre elle-meme !...