– Tu n'as pas le droit de mepriser celle qui t'a aidee quand tu etais dans le chagrin.

La princesse saisit la grenouille entre deux doigts, la monta dans sa chambre et la deposa dans un coin. Quand elle fut couchee, la grenouille sauta pres du lit et dit:

– Prends-moi, sinon je le dirai a ton pere.

La princesse se mit en colere, saisit la grenouille et la projeta de toutes ses forces contre le mur:

– Comme ca tu dormiras, affreuse grenouille!

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Dessin de Walter Crane

Mais quand l'animal retomba sur le sol, ce n'etait plus une grenouille. Un prince aux beaux yeux pleins d'amitie la regardait. Il en fut fait selon la volonte du pere de la princesse. Il devint son compagnon aime et son epoux. Il lui raconta qu'une mechante sorciere lui avait jete un sort et la princesse seule pouvait l'en liberer. Le lendemain, ils partiraient tous deux pour son royaume. Ils s'endormirent et, au matin, quand le soleil se leva, on vit arriver une voiture attelee de huit chevaux blancs. Ils avaient de blancs plumets sur la tete et leurs harnais etaient d'or. A l'arriere se tenait le valet du jeune roi. C'etait le fidele Henri. Il avait eu tant de chagrin quand il avait vu son seigneur transforme en grenouille qu'il s'etait fait bander la poitrine de trois cercles de fer pour que son c?ur n'eclatat pas de douleur. La voiture devait emmener le prince dans son royaume. Le fidele Henri l'y fit monter avec la princesse, et s'installa de nouveau a l'arriere, tout heureux de voir son maitre libere du mauvais sort.

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Dessin de Walter Crane

Quand ils eurent roule pendant quelque temps, le prince entendit des craquements derriere lui, comme si quelque chose se brisait. Il tourna la tete et dit:

– Henri, est-ce l'attelage qui brise ses chaines?

– Eh! non, Seigneur, ce n'est pas la voiture,

Mais de mon c?ur l'une des ceintures.

Car j'ai eu tant de peine

Quand vous etiez dans la fontaine,

Transforme en grenouille vilaine!

Par deux fois encore, en cours de route, on entendit des craquements et le prince crut encore que la voiture se brisait. Mais ce n'etait que les cercles de fer du fidele Henri, heureux de voir son seigneur delivre.

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Dessin de Henry Altemus

Frerot et s?urette

Frerot prit sa s?urette par la main et dit:

– Depuis que notre mere est morte, nous ne connaissons plus que le malheur. Notre belle-mere nous bat tous les jours et quand nous voulons nous approcher d'elle, elle nous chasse a coups de pied. Pour nourriture, nous n'avons que de vieilles croutes de pain, et le petit chien, sous la table, est plus gate que nous; de temps a autre, elle lui jette quelques bons morceaux. Que Dieu ait pitie de nous! Si notre mere savait cela! Viens, nous allons partir par le vaste monde!

Tout le jour ils marcherent par les pres, les champs et les pierrailles et quand la pluie se mit a tomber, s?urette dit:

– Dieu et nos c?urs pleurent ensemble!

Au soir, ils arriverent dans une grande foret. Ils etaient si epuises de douleur, de faim et d'avoir si longtemps marche qu'ils se blottirent au creux d'un arbre et s'endormirent.

Quand ils se reveillerent le lendemain matin, le soleil etait deja haut dans le ciel et sa chaleur penetrait la foret. frerot dit a sa s?ur:

– S?urette, j'ai soif. Si je savais ou il y a une source, j'y courrais pour y boire; il me semble entendre murmurer un ruisseau.

Il se leva, prit S?urette par la main et ils partirent tous deux a la recherche de la source. Leur mechante maratre etait en realite une sorciere et elle avait vu partir les enfants. Elles les avait suivis en secret, sans bruit, a la maniere des sorcieres, et avait jete un sort sur toutes les sources de la foret. Quand les deux enfants en decouvrirent une qui coulait comme du vif argent sur les pierres, Frerot voulut y boire. Mais S?urette entendit dans le murmure de l'eau une voix qui disait: «Qui me boit devient tigre. Qui me boit devient tigre.» Elle s'ecria:

– Je t'en prie, Frerot, ne bois pas; sinon tu deviendras une bete sauvage qui me devorera. Frerot ne but pas, malgre sa grande soif, et dit:

– J'attendrai jusqu'a la prochaine source.

Quand ils arriverent a la deuxieme source, S?urette l'entendit qui disait: «Qui me boit devient loup. Qui me boit devient loup.» Elle s'ecria:

– Frerot, je t'en prie, ne bois pas sinon tu deviendras loup et tu me mangeras.

Frerot ne but pas et dit:

– J'attendrai que nous arrivions a une troisieme source, mais alors je boirai, quoi que tu dises, car ma soif est trop grande.

Quand ils arriverent a la troisieme source, S?urette entendit dans le murmure de l'eau: «Qui me boit devient chevreuil. Qui me boit devient chevreuil.» Elle dit:

– Ah! Frerot, je t'en prie, ne bois pas, sinon tu deviendras chevreuil et tu partiras loin de moi.

Mais deja Frerot s'etait agenouille au bord de la source, deja il s'etait penche sur l'eau et il buvait. Quand les premieres gouttes toucherent ses levres, il fut transforme en jeune chevreuil.

S?urette pleura sur le sort de Frerot et le petit chevreuil pleura aussi et s'allongea tristement aupres d'elle. Finalement, la petite fille dit:

– Ne pleure pas cher petit chevreuil, je ne t'abandonnerai jamais.

Elle detacha sa jarretiere d'or, la mit autour du cou du chevreuil, cueillit des joncs et en tressa une corde souple. Elle y attacha le petit animal et ils s'enfoncerent toujours plus avant dans la foret. Apres avoir marche longtemps, longtemps, ils arriverent a une petite maison. La jeune fille regarda par la fenetre et, voyant qu'elle etait vide, elle se dit: «Nous pourrions y habiter.» Elle ramassa des feuilles et de la mousse et installa une couche bien douce pour le chevreuil. Chaque matin, elle faisait cueillette de racines, de baies et de noisettes pour elle et d'herbe tendre pour Frerot. Il la lui mangeait dans la main, etait content et folatrait autour d'elle. Le soir, quand S?urette etait fatiguee et avait dit sa priere, elle appuyait sa tete sur le dos du chevreuil -c'etait un doux oreiller – et s'endormait. Leur existence eut ete merveilleuse si Frerot avait eu son apparence humaine!

Pendant quelque temps, ils vecurent ainsi dans la solitude. Il arriva que le roi du pays donna une grande chasse dans la foret. On entendit le son des trompes, la voix des chiens et les joyeux appels des chasseurs a travers les arbres. Le petit chevreuil, a ce bruit, aurait bien voulu etre de la fete.