– Non, nous n'avons vu personne.
La reine vint ainsi chaque nuit, toujours silencieuse. La nourrice la voyait bien, mais elle n'osait en parler a personne. Au bout d'un certain temps, la reine commenca a parler dans la nuit et dit:
– Que devient mon enfant? Que devient mon chevreuil?
Deux fois encore je reviendrai; ensuite plus jamais.
La nourrice ne lui repondit pas. Mais quand elle eut disparu, elle alla trouver le roi et lui raconta tout. Le roi dit alors:
– Mon Dieu, que signifie cela? Je veillerai la nuit prochaine aupres de l'enfant.
Le soir, il se rendit aupres du berceau et, a minuit, la reine parut et dit a nouveau:
– Que devient mon enfant? Que devient mon chevreuil?
Une fois encore je reviendrai ensuite plus jamais.
Elle s'occupa de l'enfant comme a l'ordinaire avant de disparaitre. Le roi n'osa pas lui parler, mais il veilla encore la nuit suivante. De nouveau elle dit:
– Que devient mon enfant? Que devient mon chevreuil?
Cette fois suis revenue, jamais ne reviendrai.
Le roi ne put se contenir. Il s'elanca vers elle et dit:
– Tu ne peux etre une autre que ma femme bien-aimee!
Elle repondit:
– Oui, je suis ta femme cherie.
Et, en meme temps, par la grace de Dieu, la vie lui revint. Elle etait fraiche, rose et en bonne sante. Elle raconta alors au roi le crime que la mechante sorciere et sa fille avaient perpetre contre elle. Le roi les fit comparaitre toutes deux devant le tribunal ou on les jugea. La fille fut conduite dans la foret ou les betes sauvages la dechirerent. La sorciere fut jetee au feu et brula atrocement. Quand il n'en resta plus que des cendres, le petit chevreuil se transforma et retrouva forme humaine. S?urette et Frerot vecurent ensuite ensemble, heureux jusqu'a leur mort.
La Gardeuse d’oies
Il etait une fois une vieille reine. Son mari etait mort depuis longtemps et elle avait une fille fort jolie. Lorsque celle-ci fut devenue grande, elle fut promise au fils d’un roi. Quand vint le temps du mariage, et qu’elle fut prete a partir pour l’etranger, la reine prepara pour elle les objets les plus precieux: des bijoux, de l’or et de l’argent, des gobelets, des pierres precieuses, bref, tout ce qui convient a la dot d’une princesse, car elle aimait son enfant de tout son c?ur. Elle la confia a une cameriste qui devait voyager avec elle et la conduire a son fiance. Un cheval fut remis a chacune des deux femmes. Celui de la princesse se nommait Falada et savait parler. Lorsque vint l’instant de la separation, la reine se rendit dans sa chambre a coucher, y prit un petit couteau et s’entailla un doigt de facon a en faire jaillir le sang. Elle disposa un petit chiffon blanc sur lequel tomberent trois gouttes de sang, le donna a sa fille et dit:
– Ma chere enfant, garde-le precieusement; il te sera utile en cours de route.
Elles prirent tristement conge l’une de l’autre. La princesse serra le petit chiffon sur son sein, se mit en selle et partit rejoindre son fiance. Apres avoir chevauche pendant une heure, elle ressentit une soif ardente et dit a sa cameriste:
– Descends de cheval et puise avec le gobelet que tu as apporte pour moi de l’eau de ce ruisseau; j’ai envie de boire.
– Si vous avez soif, repondit la dame, descendez vous-meme, allongez-vous au-dessus de l’eau et buvez. Je ne suis pas votre servante.
La princesse, qui avait tres soif, descendit de cheval, se pencha sur l’eau du ruisseau et but. On ne lui avait pas permis de boire dans le gobelet d’or.
– Ah! mon Dieu, emit-elle.
Les trois gouttes de sang lui parlerent alors:
– Si ta mere savait cela, son c?ur eclaterait dans sa poitrine.
Mais la fille du roi etait courageuse. Elle ne dit rien et remonta a cheval. Elles chevaucherent durant quelques lieues. Mais la journee etait chaude et elle eut bientot soif a nouveau. Arrivant aupres d’une riviere, elle dit a sa cameriste:
– Descends de cheval et donne-moi a boire dans mon gobelet d’or.
Elle avait oublie depuis longtemps les mechantes paroles de celle qui l’accompagnait. Mais celle-ci repondit avec plus d’orgueil encore:
– Si vous avez soif, buvez toute seule, je ne suis pas votre servante!
La princesse, qui avait vraiment tres soif, descendit de cheval, se pencha sur l’eau rapide, pleura et dit:
– Ah! Seigneur!
Comme elle buvait en se penchant sur l’eau, le petit chiffon tache des trois gouttes de sang echappa de son corsage et partit au gre du courant sans qu’elle s’en apercut, tant elle avait peur. La cameriste, elle, avait tout vu et elle se rejouissait d’avoir dorenavant tout pouvoir sur la princesse car, a partir du moment ou celle-ci avait perdu les gouttes de sang, elle etait devenue faible et sans defense. Lorsqu’elle voulut remonter sur son cheval Falada, la dame de compagnie dit:
– C’est moi qui vais monter Falada et toi tu prendras mon canasson.
Et il fallut bien qu’elle en passat par la. Ensuite, la dame l’obligea a enlever ses habits royaux et a revetir ses mechants oripeaux.
Et elle dut jurer devant Dieu qu’elle n’en dirait rien en arrivant a la cour du roi. Si elle n’y avait point consenti, elle eut ete assassinee sur-le-champ. Mais Falada avait tout observe et tout enregistre.
La cameriste enfourcha donc Falada et la princesse monta sur la rosse. Elles poursuivirent ainsi leur chemin jusqu’au chateau du roi. On s’y rejouit fort de leur arrivee et le prince vint a leur rencontre, aida la dame de compagnie a descendre de cheval croyant qu’elle etait sa fiancee. Elle entra au chateau, tandis que la vraie princesse devait rester dans la cour. Le vieux roi, qui regardait par la fenetre, la remarqua et vit qu’elle etait fiere et belle. Il se rendit aussitot dans l’appartement royal et demanda a la soi-disant fiancee qui etait la jeune fille dans la cour.
– Je l’ai rencontree en cours de route et l’ai prise avec moi pour ne pas etre seule. Donnez du travail a cette servante pour qu’elle ne reste pas sans rien faire.
Mais le vieux roi n’avait pas de besogne a lui confier. Alors il dit:
– J’ai la un garcon qui garde les oies, elle n’a qu’a l’aider.
Le garcon se nommait Kurt; la vraie fiancee dut l’aider a garder les oies.
Peu de temps apres, la fausse fiancee dit au jeune roi:
– Cher epoux, je vous en prie, faites-moi plaisir.
– Bien volontiers.