– Que dit-il, mon petit frere? demanda la mariee pour la troisieme fois.

– Il dit seulement que tu dois regarder un peu le paysage.

Ils etaient justement en train de passer sur un pont franchissant des eaux profondes. Et des que la mariee se leva et se pencha par la fenetre du carrosse, sa belle-mere et sa belle-fille la pousserent si fort qu’elle tomba dans la riviere. L’eau se referma sur elle; a cet instant apparut a la surface d’eau une petite cane d’une blancheur immaculee qui flottait en suivant le courant.

Le frere sur le siege du cocher n’avait rien remarque; il continuait a foncer avec le carrosse jusqu’a la cour du roi. Son regard etait voile, mais percevant l’eclat de la robe doree il etait de bonne foi lorsqu’il conduisit devant le roi la fille noire a la place de sa s?ur. Lorsque le roi vit la pretendue mariee et son inenarrable laideur, il devint fou furieux et ordonna de jeter le cocher dans une fosse pleine de serpents.

Pendant ce temps, la vieille sorciere reussit a ensorceler le roi et a l’aveugler a tel point qu’il ne les chassa pas, ni elle, ni sa fille; et mieux encore: elle l’envouta si bien que le roi finit par trouver la mariee noire plutot acceptable et il l’epousa.

Un soir, tandis que l’epouse noire etait assise sur les genoux du roi, arriva dans les cuisines du chateau, par le conduit de l’evier une petite cane blanche qui parla ainsi au jeune marmiton:

Allume le feu, jeune apprenti,

Un court instant, sans doute, suffit

Pour faire secher mes plumes fletries.

Le garcon obeit et alluma le feu; la petite cane s’approcha, secoua ses plumes et les lissa avec son petit bec. Un peu ragaillardie, elle demanda:

– Que fait mon frere Regis?

Le marmiton repondit:

Parmi les serpents, dans une fosse,

Sa prison semble plus qu’atroce.

Et la petite cane demanda:

Que fait la sorciere noire?

Le garcon repondit:

Elle tremble de joie

Dans les bras du roi.

Et la petite cane soupira:

Mon Dieu, sois a mes cotes

Face a toute adversite!

et elle s’en alla par ou elle etait venue.

Le lendemain soir elle revint et elle reposa les memes questions et le troisieme soir egalement. Le jeune marmiton eut pitie d’elle et decida d’aller voir le roi pour tout lui raconter. Le roi, voulant voir de ses propres yeux ce qui se passait, se rendit le soir a la cuisine et des que la petite cane sortit la tete de l’evier, il brandit son epee et lui transperca la gorge.

Et tout a coup, la petite cane se transforma – et devant le roi apparut une fille d’une beaute indescriptible ressemblant comme deux gouttes d’eau a la belle du tableau de Regis. Le visage du roi s’illumina de joie et comme la jeune fille etait toute mouillee, il fit immediatement apporter une robe magnifique et ordonna qu’on l’en vetit.

La Jeune fille lui raconta ensuite comment elle se fit abuser par sa belle-mere et sa belle-s?ur et comment celles-ci l’avaient poussee a l’eau. Mais en premier lieu elle pria le roi de faire sortir son frere de la fosse aux serpents. Le roi exauca son v?u et se dirigea ensuite vers la chambre de la vieille sorciere. Il lui raconta l’histoire telle qu’elle s’etait passee et a la fin lui demanda:

– Que merite la femme qui a commis de telles abominations?

La sorciere, dans son aveuglement, n’avait pas compris de qui il etait question et repondit:

– Elle merite d’etre enfermee toute nue dans un fut garni de clous pointus et que l’on attache ce fut a un attelage et que cet attelage soit lance a toute allure.

Et c’est ainsi qu’on les traita, elle et sa fille noire.

Le roi epousa sa belle mariee blanche et recompensa le fidele Regis: il en fit l’homme le plus riche et le plus estime de son royaume.

Les Miettes sur la table

Le coq, une fois, avait dit, a sa dame poule: «Hardi! Viens picorer les miettes sur la table de la cuisine; la patronne est partie en visite!»

Mais la poule refusa – «Non, non, pas moi!, Tu sais bien qu’elle ne le veut pas et qu’elle nous battra!»

Alors, le coq reprit – «Mais viens donc, elle n’en saura rien; elle ne peut pas nous voir puisqu’elle n’est pas la!»

La poule ne voulait rien savoir: «Non et non! repeta-t-elle, c’est pas permis et j’y vais pas: on ne doit pas entrer!»

Mais le coq ne la laissa pas tranquille tant qu’ils n’y furent pas alles, se perchant sur la table et picorant consciencieusement toutes les miettes de pain qui s’y trouvaient. Et alors justement rentra la femme, qui attrapa prestement une baguette et leur distribua non moins prestement une solide et impitoyable correction.

Et lorsqu’ils se retrouverent dehors enfin, la poule dit a son coq: «T’a, t’a, t’a, t’a, t’a vu?» Sur quoi le coq commenca par glousser de rire, puis il dit: «Et co, co, co, comment que je le savais!» Et apres ils s’en sont alles.

La Mort marraine

Il etait une fois un homme pauvre qui avait douze enfants. Pour les nourrir, il lui fallait travailler jour et nuit. Quand le treizieme vint au monde, ne sachant plus comment faire, il partit sur la grand-route dans l’intention de demander au premier venu d’en etre le parrain. Le premier qu’il rencontra fut le Bon Dieu. Celui-ci savait deja ce que l’homme avait sur le c?ur et il lui dit:

– Brave homme, j’ai pitie de toi; je tiendrai ton fils sur les fonts baptismaux, m’occuperai de lui et le rendrai heureux durant sa vie terrestre.

L’homme demanda:

– Qui es-tu?

– Je suis le Bon Dieu.

– Dans ce cas, je ne te demande pas d’etre parrain de mon enfant, dit l’homme. Tu donnes aux riches et tu laisses les pauvres mourir de faim. (L’homme disait cela parce qu’il ne savait pas comment Dieu partage richesse et pauvrete.)

Il prit donc conge du Seigneur et poursuivit sa route. Le Diable vint a sa rencontre et dit:

– Que cherches-tu? Si tu me prends pour parrain de ton fils, je lui donnerai de l’or en abondance et tous les plaisirs de la terre par-dessus le marche.

L’homme demanda:

– Qui es-tu?

– Je suis le Diable.

– Alors, je ne te veux pas pour parrain. Tu trompes les hommes et tu les emportes.

Il continua son chemin. Le Grand Faucheur aux ossements desseches venait vers lui et l’apostropha en ces termes: