– Cher pere, repondit-il, je suis devenu tourneur sur bois.

– Un fameux metier, dit le pere.

– Qu’as-tu ramene de ton compagnonnage?

– Une piece precieuse, cher pere, repondit le fils, un baton dans un sac.

– Quoi? s’ecria le pere.

– Un baton, ce n’etait pas la peine, tu peux en cueillir a n’importe quel arbre!

– Mais pas un comme ca, cher pere; quand je dis «baton, hors du sac», il en bondit et donne a celui qui m’a voulu du mal une fameuse danse jusqu’a ce qu’il tombe par terre et supplie qu’il s’arrete. Voyez-vous, c’est avec ce baton que j’ai recupere la «petite-table-mets-le-couvert» et l’ane a or que l’aubergiste voleur avait derobes a mes freres. Maintenant, appelle mes freres, et invite tous les parents. Je veux qu’ils mangent et boivent et je remplirai leurs poches d’or.

Le vieux tailleur ne croyait pas trop a cette histoire, mais il invita quand meme ses parents. Le tourneur etendit un drap dans la chambre, fit entrer l’ane a or et dit a son frere:

– Maintenant, cher frere, parle-lui.

Le meunier dit:

– BRICKLEBRIT

Et, a l’instant, des pieces d’or tomberent sur le drap comme s’il en pleuvait a verse et l’ane n’arreta que lorsque tous en eurent tant qu’ils ne pouvaient plus en porter. (Je vois a ta mine que tu aurais bien voulu y etre!) Alors, le tourneur chercha la petite table et dit:

– Cher frere, parle-lui maintenant.

Et a peine le menuisier avait-il dit: «Petite table, mets le couvert» que deja les plus beaux mets apparaissaient en abondance. Il y eut un repas comme jamais encore le bon tailleur n’en avait vu dans sa maison. Toute la famille resta rassemblee jusqu’au milieu de la nuit et tous etaient joyeux et combles. Le tailleur enferma aiguilles, bobines, aune et fers a repasser dans une armoire et vecut avec ses fils dans la joie et la felicite.

Et la chevre a cause de laquelle le tailleur jeta dehors ses trois fils, qu’est-elle devenue?

Ne supportant pas d’avoir la tete tondue, elle alla se cacher dans le terrier d’un renard. Lorsque celui-ci revint et apercut deux gros yeux briller au fond de son terrier, il prit peur et se sauva a toute allure. Dans sa fuite, il rencontra un ours.

– Pourquoi as-tu l’air si affole, frere renard? lui demanda celui-ci. Que t’est-il donc arrive?

– Mon terrier est occupe par un epouvantable animal dont les yeux lancent des flammes expliqua le renard.

– Nous allons le chasser, s’exclama l’ours qui accompagna le renard jusqu’a son terrier.

Mais lorsque l’ours apercut les yeux de braise, a son tour il prit peur et s’enfuit, renoncant a chasser l’intrus. Dans sa fuite, il rencontra une abeille.

– Pourquoi fais-tu cette tete, frere ours? lui demanda-t-elle, toi qui d’ordinaire est si joyeux?

– Un epouvantable animal aux yeux de braise occupe le terrier du renard et nous ne reussissons pas a l’en chasser, expliqua l’ours.

L’abeille fut saisie de pitie.

– Je ne suis qu’une pauvre et faible creature a laquelle vous ne pretez d’ordinaire guere attention, dit-elle. Mais peut-etre pourrais-je vous aider.

L’abeille entra dans le terrier du renard, se posa sur la tete de la chevre et la piqua si violemment que celle-ci sauta en l’air. «Be, Be», hurla la chevre en decampant a toute allure. Elle courut, courut si longtemps qu’encore aujourd’hui nul ne sait jusqu’ou elle est allee.

La Princesse de pierre

Deux princes partirent un jour a l’aventure vers de lointaines contrees. Mais comme ils s’amusaient beaucoup a faire les quatre cents coups, ils deciderent de ne plus revenir au chateau.

Leur petit frere, qui se faisait du souci, decida de partir a leur recherche. Lorsqu’il les trouva enfin, ils se moquerent de lui: «Oh! Une chance que tu sois venu, petit frere. Car nous n’aurions jamais pu nous debrouiller seuls; tu es tellement plus intelligent que nous.» Mais ils accepterent quand meme de l’emmener avec eux.

Ils reprirent donc la route tous ensembles et un jour, au detour d’un sentier, ils apercurent une fourmiliere. Le plus vieux voulu la fouiller et voir comment les petites fourmis apeurees se precipiteraient au-dehors, transportant leurs ?ufs pour les mettre en surete. Mais le plus jeune dit: «Laisse donc ces animaux en paix, je ne peux pas supporter qu’on les derange!»

Ils continuerent et arriverent au bord d’un lac sur lequel barbotaient un tres grand nombre de canards. Les deux plus vieux voulurent en attraper quelques-uns et les faire cuire, mais le plus jeune ne les laissa pas faire et leur dit: «Laissez donc les animaux en paix, je ne peux pas supporter qu’on les tue!»

Plus tard, ils trouverent une ruche d’abeilles qui etait tellement remplie de miel, qu’elle en debordait. Les deux freres voulurent faire un feu sous la ruche, afin d’enfumer les abeilles et leur voler leur miel. Mais le plus jeune les en empecha encore et leur dit: «Laissez donc les animaux en paix, je ne peux pas supporter qu’on les brule!»

Finalement, les trois freres arriverent a un chateau ensorcele. Une mechante sorciere avait transforme en pierre toutes les plantes, tous les animaux et tous les gens de ce chateau, a l’exception du roi. Elle avait epargne le roi car elle voulait qu’il souffre de voir ses trois filles dormir d’un sommeil de pierre.

Les trois princes se dirigerent vers la porte du chateau et regarderent a l’interieur par un petit trou. La, ils virent un homme gris et triste comme la pierre assis a une table: c’etait le roi. Ils l’appelerent une fois, puis une seconde fois, mais le roi ne les entendit pas. Ils l’appelerent de nouveau. La, il se leva, ouvrit la porte et, sans prononcer un seul mot, les conduisit a une table couverte de victuailles. Lorsque les trois princes eurent mange et bu, qu’ils furent rassasies et repus, le roi leur montra leur chambre et ils allerent dormir.

Le lendemain matin, le roi vint aupres du plus vieux des princes, lui fit signe de le suivre et le conduisit a une tablette de pierre. Sur cette tablette se trouvaient trois inscriptions, chacune decrivant une epreuve qui devait etre accomplie pour que le chateau soit delivre de son mauvais sort.

La premiere disait: «Dans la foret, sous la mousse, gisent les mille perles des princesses. Elles doivent toutes etre retrouvees avant le coucher du soleil. S’il en manque ne serait-ce qu’une seule, celui qui les aura cherche sera change en pierre.» Le prince partit donc dans la foret et chercha durant toute la journee. Mais lorsque la nuit tomba, il en avait seulement trouve une centaine. Il arriva ce qui etait ecrit sur la tablette: il fut change en pierre.

L e jour suivant, le second prince entreprit a son tour de retrouver les perles. Mais il ne fit pas beaucoup mieux que son frere aine: il ne trouva que deux cents perles et fut lui aussi change en pierre.