– Avant que tu n’obtiennes ma fille et la moitie du royaume, lui dit-il, il faut encore que tu accomplisses un exploit. Dans la foret il y a une licorne qui cause de gros ravages. Il faut que tu l’attrapes.

– J’ai encore moins peur d’une licorne que de deux geants. Sept d’un coup, voila ma devise, repondit le petit tailleur.

Il prit une corde et une hache, partit dans la foret et ordonna une fois de plus a ceux qu’on avait mis sous ses ordres de rester a la lisiere. Il n’eut pas a attendre longtemps. La licorne arriva bientot, fonca sur lui comme si elle avait voulu l’embrocher sans plus attendre.

– Tout doux! tout doux! dit-il. Ca n’ira pas si vite que ca.

Il attendit que l’animal soit tout proche. Alors, il bondit brusquement derriere un arbre. La licorne courut a toute vitesse contre l’arbre et enfonca sa corne si profondement dans le tronc qu’elle fut incapable de l’en retirer. Elle etait prise!

– Je tiens le petit oiseau, dit le tailleur.

Il sortit de derriere l’arbre, passa la corde au cou de la licorne, degagea la corne du tronc a coups de hache et, quand tout fut fait, emmena la bete au roi.

Le roi ne voulut pas lui payer le salaire promis et posa une troisieme condition. Avant le mariage, le tailleur devait capturer un sanglier qui causait de grands ravages dans la foret. Les chasseurs l’aideraient.

– Volontiers, dit le tailleur, c’est un jeu d’enfant.

Il n’emmena pas les chasseurs avec lui, ce dont ils furent bien contents car le sanglier les avait maintes fois recus de telle facon qu’ils n’avaient aucune envie de l’affronter.

Lorsque le sanglier vit le tailleur, il marcha sur lui l’ecume aux levres, les defenses menacantes, et voulut le jeter a terre. Mais l’agile heros bondit dans une chapelle qui se trouvait dans le voisinage et d’un saut en ressortit aussitot par une fenetre. Le sanglier l’avait suivi. Le tailleur revint derriere lui et poussa la porte. La bete furieuse etait captive. Il lui etait bien trop difficile et incommode de sauter par une fenetre. Le petit tailleur appela les chasseurs. Ils virent le prisonnier de leurs propres yeux. Le heros cependant se rendit chez le roi qui dut tenir sa promesse, bon gre mal gre! Il lui donna sa fille et la moitie de son royaume. S’il avait su qu’il avait devant lui, non un foudre de guerre, mais un petit tailleur, l’affaire lui serait restee encore bien plus sur le c?ur. La noce se deroula donc avec grand eclat, mais avec peu de joie, et le tailleur devint roi. Au bout de quelque temps, la jeune reine entendit une nuit son mari qui revait.

– Garcon, disait-il, fais-moi un pourpoint et raccommode mon pantalon, sinon je te casserai l’aune sur les oreilles!

Elle comprit alors dans quelle ruelle etait ne le jeune roi et au matin, elle dit son chagrin a son pere et lui demanda de la proteger contre cet homme qui n’etait rien d’autre qu’un tailleur. Le roi la consola et lui dit:

– La nuit prochaine, laisse ouverte ta chambre a coucher. Quand il sera endormi, mes serviteurs qui se trouveront dehors entreront, le ligoteront et le porteront sur un bateau qui l’emmenera dans le vaste monde.

Cela plut a la fille. Mais l’ecuyer du roi, qui avait tout entendu, etait devoue au jeune seigneur et il alla lui conter toute l’affaire.

– Je vais leur couper l’herbe sous les pieds, dit le petit tailleur.

Le soir, il se coucha avec sa femme a l’heure habituelle. Quand elle le crut endormi, elle se leva, ouvrit la porte et se recoucha. Le petit tailleur, qui faisait semblant de dormir, se mit a crier tres fort:

– Garcon, fais-moi un pourpoint et raccommode mon pantalon, sinon je te casse l’aune sur les oreilles, j’en ai abattu sept d’un coup, j’ai tue deux geants, capture une licorne et pris un sanglier et je devrais avoir peur de ceux qui se trouvent dehors, devant la chambre?

Lorsque ceux-ci entendirent ces paroles, ils furent saisis d’une grande peur. Ils s’enfuirent comme s’ils avaient eu le diable aux trousses et personne ne voulut plus se mesurer a lui. Et c’est ainsi que le petit tailleur resta roi, le reste de sa vie durant.

La Vieille dans la foret

Il etait une fois une pauvre servante qui voyageait avec ses maitres, et comme ils traversaient une grande foret, leur voiture fut attaquee par des bandits qui surgirent des fourres et qui tuerent tout ce qui se presentait. il n’y eut pas un survivant, hormis la jeune servante qui s’etait jetee de la voiture dans sa peur, et qui s’etait cachee derriere un arbre. Lorsque les bandits se furent eloignes avec leur butin, timidement elle approcha, et ne put que constater le malheur sans remede. «Pauvre de moi, gemit-elle, que vais-je devenir? Jamais je ne serai capable de sortir de cette immense foret ou ne demeure ame qui vive, et je vais y mourir de faim!» En larmes, elle se mit a errer a la recherche de quelque chemin, mais ne put en trouver aucun. De plus en plus malheureuse, quand le soir arriva, elle se laissa tomber au pied d’un arbre, se recommanda a la grace de Dieu et decida de ne plus bouger de la, quoi qu’il put arriver. Il n’y avait pas bien longtemps qu’elle y etait, et l’obscurite n’etait pas encore venue quand elle vit arriver une blanche colombe qui volait vers elle, tenant une petite clef d’or dans son bec. La colombe lui posa la petite clef dans la main et lui dit:

– Tu vois ce grand arbre la-bas? il y a dans son tronc une petite serrure; si tu l’ouvres avec cette petite clef, tu trouveras de la nourriture en suffisance pour ne plus souffrir de la faim. Elle alla jusqu’a l’arbre, ouvrit sa serrure et trouva a l’interieur du lait dans une petite jatte et du pain blanc pour tremper dans le lait; ainsi put-elle manger son content. Sa faim passee, elle songea. «Voici l’heure ou les poules rentrent se coucher, et je me sens si fatiguee, si fatiguee… Comme je voudrais pouvoir me mettre dans mon lit!» Elle vit alors la colombe blanche revenir vers elle, tenant une autre petite clef d’or dans son bec.

– Ouvre l’arbre que tu vois la-bas, dit la colombe en lui donnant la petite clef d’or. Tu y trouveras un lit. Elle ouvrit l’arbre et y trouva un beau lit bien doux; elle demanda dans sa priere au bon Dieu de la garder pendant la nuit, se coucha et s’endormit aussitot. Au matin, la colombe revint pour la troisieme fois lui apporter une petite clef. Si tu ouvres cet arbre la-bas, tu y trouveras des robes, dit la colombe. Et quand elle l’eut ouvert, elle trouva dedans des robes brodees d’or et de pierres precieuses, des vetements d’une telle magnificence que meme les princesses n’en possedent pas d’aussi beaux. Alors elle vecut la pendant un temps, et la colombe revenait tous les jours et s’occupait de tout ce dont elle pouvait avoir besoin, ne lui laissant aucun souci; et c’etait une existence calme, silencieuse et bonne. Puis un jour, la colombe vint et lui demanda:

– Voudrais-tu me rendre un service?- De tout c?ur! repondit la jeune fille

– Je vais te conduire a une petite maison, dit alors la colombe; tu entreras et il y aura la, devant la cheminee, une vieille femme qui te dira bonjour; mais tu ne dois a aucun prix lui repondre un seul mot. Pas un mot, quoi qu’elle dise ou fasse; et tu iras sur ta droite ou tu verras une porte, que tu ouvriras pour entrer dans une petite chambre, ou il y a un tas de bagues de toutes sortes sur une table: une enorme quantite de bagues parmi lesquelles tu en verras de tres precieuses, de merveilleux bijoux montes de pierres fines, de brillants extraordinaires, de pierres les plus rares et les plus eclatantes; mais tu les laisseras de cote et tu en chercheras une toute simple, un anneau ordinaire qui doit se trouver dans le tas, Alors tu me l’apporteras, en faisant aussi vite qu’il te sera possible. La jeune fille arriva devant la petite maison, poussa la porte et entra; il y avait une vieille femme assise, qui ouvrit de grands yeux en la voyant et qui lui dit: «Bonjour, mon enfant!» Sans lui repondre, la jeune fille alla droit a la petite porte. «Ou vas-tu?» lui cria la vieille femme en essayant de la retenir par le pan de sa robe. «Tu es chez moi ici! C’est ma maison, et nul n’y doit entrer sans mon consentement. Tu m’entends?» Toujours sans souffler mot, la jeune fille se degagea d’un coup de reins et penetra dans la petite chambre. -Mon Dieu! quelle fantastique quantite de bagues s’entassait donc sur l’unique table, jetant mille feux, etalant mille splendeurs sous ses yeux! Mais elle les dedaigna et se mit a fouiller pour chercher l’anneau tout simple, tournant et retournant tout le tas sans le trouver. Elle le cherchait toujours quand elle vit, du coin de I’?il, la vieille femme se glisser vers la porte en tenant dans ses mains une cage d’oiseau qu’elle voulait emporter dehors. D’un bond, elle fut sur elle et lui enleva des mains cette cage, dans laquelle elle vit qu’il y avait un oiseau; et cet oiseau avait la bague dans son bec! Elle s’empara de l’anneau qu’elle emporta, tout heureuse, en courant hors de la maison, s’attendant a voir la colombe arriver pour le recevoir. Mais la colombe n’etait pas la et ne vint point. Alors elle se laissa tomber au pied d’un arbre, un peu decue, mais decidee en tout cas a l’attendre; et alors il lui sembla que l’arbre se penchait sur elle et la serrait tendrement dans ses branches. L’etreinte se fit insistante et elle se rendit compte, soudain, que c’etaient bien deux bras qui la serraient; elle tourna un peu la tete et s’apercut que l’arbre n’etait plus un arbre, mais un bel homme qui l’enlacait avec amour et l’embrassait de tout son c?ur avant de lui dire avec emotion.: