– Je peche, fut sa reponse. Le messager ne manqua pas de lui demander comment il pouvait pecher, puisqu’il n’y avait pas d’eau.

– Aussi bien que deux b?ufs peuvent avoir un poulain, repondit le paysan, aussi bien peut-on pecher ou il n’y a pas d’eau; et c’est ce que je fais! Le messager rapporta ces paroles au roi, qui fit venir le paysan, lui disant que cette reponse ne venait pas de lui et qu’il voulait savoir de qui il l’avait apprise. Le paysan ne voulut rien reconnaitre et se borna a repeter. «Que Dieu vous garde! La reponse vient de moi.» On le coucha sur une botte de paille et on le batonna si longtemps et si durement qu’il finit par admettre et par reconnaitre que c’etait Sa Majeste la reine qui l’avait conseille. Le roi, des qu’il fut de retour au chateau, alla trouver la reine et lui dit:

– Pourquoi cette conduite, d’une duplicite impardonnable? Je ne veux plus de toi comme epouse; tu as fini ton temps ici et tu vas retourner d’ou tu viens, dans ta chaumiere paysanne. Mais a titre de cadeau d’adieu, il lui permit d’emporter avec elle ce qu’elle choisirait comme la chose la plus precieuse et qu’elle aimait le mieux.

– Tres bien, mon cher mari, lui dit-elle, puisque tels sont tes ordres, j’obeirai et je ferai ce que tu dis. Elle se jeta dans ses bras et l’embrassa, en lui disant qu’avant de partir elle viendrait encore prendre conge de lui. Elle prepara bien vite une boisson fortement narcotique et la lui presenta comme le verre de l’adieu. Le roi en but une bonne dose, cependant qu’elle faisait mine d’y tremper les levres, et quand elle le vit succomber au sommeil, elle appela ses serviteurs et se fit apporter une belle et blanche toile de lin, dans laquelle elle l’enveloppa completement; puis elle leur fit porter ce lourd paquet jusqu’a sa voiture, devant la porte exterieure du palais. Elle emporta le dormeur jusque dans sa chaumiere, ou elle le coucha sur son petit lit de jeune fille, pour l’y laisser dormir jour et nuit aussi longtemps que se prolongea l’effet du narcotique. Lorsqu’il se reveilla, il regarda avec stupefaction autour de lui, ne comprenant ni ou il se trouvait, ni ce qu’il lui arrivait. Il appela ses serviteurs, apres diverses exclamations de surprise, mais personne ne vint et nul ne repondit. Ce fut sa femme, pour finir, qui arriva devant son lit et qui lui dit: – Mon cher seigneur, vous m’avez commande et permis d’emporter du chateau ce que j’aimais le plus et ce que je tenais comme le bien le plus precieux; et comme je n’aime au monde rien plus que vous, comme je n’ai aucun bien qui me soit plus precieux, je vous ai pris avec moi pour vous garder dans ma chaumiere! Le roi en eut les larmes aux yeux. – Ma chere femme, lui dit-il, tu es mienne comme je suis tien! Il la ramena dans le chateau royal pour y celebrer de nouvelles noces avec elle – et sans doute y vivent-ils encore a l’heure qu’il est.

Jean-le-Fidele

Il etait une fois un vieux roi malade qui, sentant la mort approcher fit appeler son plus devoue serviteur. Il lui dit:

«Fidele Jean, je vais bientot quitter cette terre, et je n’emporte qu’un seul regret: laisser derriere moi un fils trop jeune pour savoir se conduire lui-meme et gouverner son royaume. Si tu ne me promets pas de lui enseigner tout ce qu’il doit savoir et de lui servir de guide, je ne saurai mourir en paix.»

Le fidele Jean etait vieux, il repondit pourtant: «Je ne quitterai jamais le prince et je le servirai de toutes mes forces, meme si je dois les epuiser a son service.

– Merci, fidele Jean, dit le roi. Grace a toi je mourrai en paix… Apres ma mort, tu feras visiter a mon fils tout le chateau, depuis le sommet des tours jusqu’aux oubliettes les plus profondes; tu lui montreras ou sont les tresors et les reserves, mais tu ne le laisseras pas penetrer dans la derniere chambre de la tour du nord. La, se trouve le portrait de la princesse du Castel d’Or. S’il le voit, de grands malheurs en decouleront et mieux vaut ignorer l’existence de cette princesse que de chercher a l’approcher.»

Le fidele Jean s’engagea a respecter les volontes du roi mourant et peu apres celui-ci rendit l’ame.

Quand le temps du deuil fut ecoule, le fidele serviteur dit a son nouveau maitre:

«Il est temps pour vous de connaitre votre heritage. Venez avec moi, je vais vous faire visiter le chateau de vos peres.»

Il conduisit le jeune roi a travers les salles et les galeries, les escaliers et les tourelles, lui fit admirer bien des tapisseries et des meubles precieux, ouvrit de nombreux coffres pleins d’or ou de monnaies rares, mais laissa bien close la porte de la tour du nord, ou se trouvait le portrait de la princesse du Castel d’Or.

Ce portrait se trouvait place de telle sorte qu’on le voyait des qu’on entrait dans la piece, et il etait peint de si merveilleuse facon qu’on croyait voir la princesse sourire et respirer, comme si elle se tenait la, vivante.

Le jeune roi, cependant, remarqua que le fidele Jean passait devant cette porte sans l’ouvrir et lui en demanda la raison.

«Parce que, repondit le fidele Jean, il y a dans cette piece quelque chose qui vous ferait peur.

«Je veux le voir», repeta le jeune roi, cherchant a ouvrir la porte, mais Jean le retint.

«Non, dit-il, j’ai promis au roi votre pere que vous ne verriez pas ce que contient cette piece. Si vous y jetiez un seul coup d’?il, les plus grands malheurs pourraient en resulter et pour vous et pour votre royaume.

– Le plus grand malheur, dit le prince, serait plutot que je ne puisse y entrer, car alors, de jour ni de nuit, je ne pourrai trouver le repos. Je ne bougerai pas d’ici tant que tu n’auras pas ouvert cette porte.» Le fidele Jean comprit que le jeune roi ne changerait pas d’avis; alors il prit son trousseau de clefs, en choisit une et, a regret, l’introduisit dans la serrure.

Il penetra le premier dans la piece, esperant avoir le temps de couvrir le tableau, mais il etait deja trop tard: le prince, entre sur ses talons, vit le portrait, son regard rencontra celui de la princesse et il tomba sur le plancher, evanoui.

«Le malheur est arrive. Qu’allons-nous devenir, a present?» se dit le fidele Jean avec angoisse.

Enfin le roi ouvrit les yeux. Ses premieres paroles furent pour demander qui etait cette ravissante princesse, et quand le fidele serviteur eut repondu a sa question, il dit:

«Si toutes les feuilles de tous les arbres etaient des langues parlant nuit et jour, elles ne sauraient assez dire a quel point je l’aime. Ma vie depend d’elle et je pars immediatement a sa recherche. Toi, qui es mon fidele Jean, tu m’accompagneras.»

Le fidele serviteur essaya de raisonner son maitre, mais ce fut bien inutile. Il comprit qu’il fallait lui ceder et, apres avoir longuement reflechi, il mit au point un projet qui devait lui permettre d’arriver aupres de l’inaccessible princesse.

«Tout ce qui entoure le roi et sa fille est en or, dit-il enfin a son maitre, et elle n’aime que ce qui est en or. Dans votre tresor il y a cinq tonnes de ce metal precieux, mettez-les a la disposition de vos orfevres afin qu’ils les transforment en objets de toutes sortes, qu’ils les decorent d’oiseaux et de betes sauvages; je sais que cela lui plaira. Des que tout sera pret, nous embarquerons et tenterons notre chance.»